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I.

Où commence l’industrie d’art? Quelle est la limite qui la sépare de l’industrie ordinaire? Cette limite est difficile à déterminer. S’il y a des produits qui, par le prix élevé de la matière dont il sont formés, par l’ornementation qui est leur attribut nécessaire, par leur usage exclusivement réservé aux classes riches, appartiennent sans aucun doute à la catégorie des produits d’art, il en est d’autres, et en grand nombre, qui, destinés à la consommation générale, reçoivent du travail les divers degrés de la perfection et se haussent insensiblement à la dignité de l’œuvre artistique. L’ameublement, la porcelaine et la faïence, la verrerie, les éventails, etc., sont dans ce cas. La commission d’enquête a même entendu un fabricant de chaussures. Il semble donc à peu près impossible de tracer, sur la grande carte de l’industrie, les frontières du domaine artistique, surtout quand il s’agit de l’industrie française, et la commission était autorisée à élargir, comme elle l’a fait, le champ de son étude. On sait, d’ailleurs, que la plupart des usines qui sont le plus renommées pour les produits de luxe fabriquent en même temps les articles similaires destinés à la consommation courante, de telle sorte que les deux branches d’industrie sont connexes et que les destinées de l’une influent directement sur les progrès de l’autre. Dans ces usines, ce sont les bénéfices obtenus par la grande fabrication qui permettent d’affronter les risques et les dépenses de la production d’art, dont le débit est nécessairement moins sûr et plus restreint. Par conséquent, la commission a dû plus d’une fois porter ses investigations sur l’ensemble de l’industrie.

Les industries d’art sont plus exposées que les autres branches de travail au contre-coup des crises politiques et financières. Comme leurs produits plus coûteux s’adressent aux classes riches ou aisées, la vente se ralentit dès que la sécurité et la fortune du pays sont atteintes. D’un autre côté, elles exigent en général une moindre avance de capitaux, elles occupent moins d’ouvriers, et ces ouvriers, recevant des salaires élevés, peuvent se garer plus facilement contre les effets du chômage ; enfin, lorsque le marché national leur fait momentanément défaut, elles ont la ressource de l’exportation vers les pays où la crise ne sévit pas. Toutefois, pour que cette ressource si profitable leur soit conservée, il importe qu’elles se maintiennent au premier rang pour l’exécution du travail et qu’elles soient en mesure de lutter, quant aux prix de vente, contre la concurrence qu’elles doivent rencontrer sur les marchés étrangers.

D’après les dépositions recueillies par la commission d’enquête