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que l’utile. Bref, l’art et l’industrie sont inséparables. De plus en plus les deux élémens se confondent, de telle sorte que la question d’art prend une place chaque jour plus grande dans l’étude des problèmes économiques qui se rattachent à la question de travail. Désormais les progrès de l’industrie sont intimement liés aux progrès des beaux-ans, et, au milieu de l’universelle concurrence, la supériorité artistique procure aux pays qui la possèdent autant de profit que d’honneur.

Cette supériorité a longtemps appartenu sans conteste à la France ; elle lui appartient encore, mais elle commence à lui être vivement disputée par de nombreux et habiles rivaux. Lors des expositions universelles, la comparaison établie entre les productions des différens pays d’Europe a montré que la suprématie française tendrait à décliner. En même temps, les statistiques commerciales attestent que, pour un certain nombre des produits où l’art et le goût dominent, les exportations de la France sont moins actives, et même que les industries étrangères sont en mesure de nous faire concurrence sur nos marchés. Faut-il conclure de ces observations que l’industrie française s’est arrêtée dans le progrès et que l’industrie étrangère, marchant plus vite, s’est rapprochée d’elle? Doit-on s’en prendre aux méthodes d’enseignement et d’apprentissage, aux conditions économiques du travail, à l’organisation des ateliers, au taux des salaires, au prix de revient des produits? Chacune de ces causes différentes doit avoir sa part d’action sur le résultat; mais quelle est cette part? Voilà ce qu’il convient de rechercher et de déterminer pour l’étude des moyens propres à maintenir l’industrie française au premier rang

L’enquête a été faite. Le gouvernement vient de publier les procès-verbaux d’une commission qui avait été instituée en 1881 par le ministère des arts pour examiner « la situation des ouvriers et des industries d’art. » Le ministère des arts a peu duré, mais la commission lui a survécu, et elle a pleinement justifié la pensée de l’ancien ministre, M. Antonin Proust, devenu son rapporteur. En dehors de l’élément parlementaire, la commission comptait parmi ses membres les personnes les plus compétentes, elle n’a entendu que des témoignages très autorisés qui pouvaient l’éclairer sur l’objet précis de son enquête, elle a su écarter la déclamation politique et sociale qui fausse et gâte d’ordinaire les enquêtes où les ouvriers sont en cause; elle a produit ainsi une œuvre utile, qui intéresse tout à la fois l’art pur et l’art appliqué à l’industrie. De ce travail à peu près complet se dégage une série de faits, de renseignemens et de conseils qui méritent de fixer l’attention du gouvernement, des chefs d’industrie et des ouvriers.