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provoquans. La transformation menaçante qui se faisait à nos portes nous ramenait malgré nous aux préoccupations du dehors. Les pourparlers entre Vienne et Paris, un instant suspendus, furent repris. L’archiduc Albert, le vainqueur de Custozza, vint à Paris; il fut accueilli à la cour des Tuileries à bras ouverts, il était en Autriche le chef du parti de la revanche. Il avait pour mission de s’enquérir de notre situation militaire et de discuter un plan de campagne combiné, il fut frappé de la brillante et martiale attitude de l’armée, il ne s’aperçut pas des vices de son organisation. Il fut prodigue d’éloges : c’était rendre un mauvais service à des généraux présomptueux. La présence de l’archiduc à Paris, et ses entretiens avec les chefs de l’armée, confirmaient les assurances que nous donnait journellement l’ambassadeur de François-Joseph, sur le concours éventuel de son gouvernement. Le prince de Metternich aimait la France, il était le confident des Tuileries. Sans s’inspirer des sentimens de son père, qui, dans ses Mémoires d’outre-tombe, nous a révélé de noirs desseins[1], il ne contribua pas moins dans une certaine mesure, et sans le vouloir, assurément, à précipiter les destinées du second empire. Partisan résolu de l’alliance française, et personnellement fort dévoué à l’empereur et à l’impératrice, il entretint la cour des Tuileries, si portée aux illusions, dans de décevantes espérances[2]. Il exagérait, dit-on, au gré de ses propres désirs, inconsciemment, les instructions de son ministre, qui, lui-même ne substituait que trop volontiers le rêve à la réalité. M. de Beust voulait l’alliance en toute sincérité, elle était son espoir, la base de sa politique. Il savait qu’il ne pouvait rien sans la France. C’est avec son appui qu’il comptait rendre à l’Autriche sa suprématie

  1. Le prince de Metternich s’est fait gloire dans ses Mémoires d’avoir prévu la chute de Napoléon Ier dès son avènement et de l’avoir poursuivie sans relâche par les moyens les plus ténébreux. M. Thiers, dans le récit si dramatique qu’il a fait de l’entrevue de Dresde, affirme que Napoléon, frappé de démence, avait repoussé les conditions avantageuses que lui offrait l’Autriche. Le prince de Metternich a renversé cette légende ; il prétend n’être allé à Dresde que pour entretenir l’empereur dans des illusions et permettre à l’armée autrichienne de se compléter et d’opérer sa jonction avec les armées alliées.
  2. Je fis observer un jour, à l’époque de la guerre de Crimée, au comte de Hatzfeld, le ministre de Prusse à Paris, que son langage était bien pessimiste, qu’il ne reflétait qu’imparfaitement les tendances de sa cour, qu’elles étaient plus sympathiques aux puissances occidentales qu’il ne l’affirmait dans ses entretiens avec M. Drouyn de Lhuys. « Le devoir d’un diplomate, me répondit-il, est de ne pas tenir au gouvernement auprès duquel il est accrédité un langage qui ne serait pas de tous points justifié par l’événement. Si la Prusse devait s’associer à la France et à l’Angleterre, je serais le premier à m’en féliciter. Mais, connaissant l’esprit de ma cour et les passions qui s’agitent à Berlin, je crois mieux servir les intérêts des deux pays en tempérant les illusions auxquelles on cède si volontiers à Paris.