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Il ne lui était plus donné de relever son autorité à l’intérieur par le prestige de sa politique au dehors. Il ne lui restait de ses chimères passées que le sentiment d’amères déceptions. Dans sa détresse, il crut sauver la dynastie en appelant tardivement le pays au partage du pouvoir et de la responsabilité. Il transforma son gouvernement. Le ministère Ollivier affirma la paix et la liberté; le pays reprit confiance, les partis, un instant, désarmèrent. Il ne pouvait plus être question d’alliances; l’empereur abandonnait à son cabinet, qui paraissait vouloir se désintéresser de l’Europe, la direction des affaires étrangères. Il n’était plus en situation, après les modifications que le plébiscite avait introduites dans la constitution de 1852, de traiter sans l’assentiment de ses ministres[1].

Interrogé par le roi Victor-Emmanuel sur ses desseins, l’empereur se borna à lui conseiller la patience. Il ne prévoyait aucun conflit et il espérait que son gouvernement rallierait la Prusse à l’idée d’une réduction des charges militaires; il se flattait que tous les gouvernemens pourraient désormais se consacrer aux travaux de la paix. L’Italie se résigna, non sans regrets, à faire des économies; la politique qui l’emportait à Paris l’atteignait dans ses espérances ; elle ajournait indéfiniment la solution de la question romaine.

Le comte Daru poursuivit le désarmement ; il donna l’exemple en réduisant le contingent de dix mille hommes, sans s’arrêter aux objections que lord Clarendon avait rencontrées à Berlin. Il espérait impressionner M. de Bismarck et le convaincre de la sincérité de nos intentions pacifiques. C’était se méprendre sur sa politique. La Prusse était résolue à ne pas réduire ses effectifs tant que son ambition ne serait pas satisfaite. Pour faire triompher la paix, il aurait fallu dire à l’Allemagne qu’on la laissait maîtresse de ses destinées. C’était l’unique moyen de la désarmer, de déjouer les calculs du ministre prussien, de le rejeter dans ses embarras intérieurs et de le mettre aux prises avec le particularisme et lu libéralisme germaniques. Mais affirmer la paix et faire défense à la Prusse de franchir la ligue du Mein, c’était jouer son jeu et lui fournir des prétextes pour raviver les passions nationales et les retourner contre la France.

La direction des événemens nous échappait, nous n’étions plus comme autrefois les dispensateurs de la paix et de la guerre. Le cabinet de Berlin nous le faisait sentir amèrement, le roi Guillaume répondait au Reichstag à nos protestations pacifiques par des discours

  1. Il dut même, sur les observations du comte Daru, qui était jaloux de ses prérogatives, renoncer à communiquer directement avec le général Fleury, son ambassadeur à Saint-Pétersbourg.