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n’avaient parlé de Rome que fugitivement, de peur de ne pas s’entendre. Ils sentaient que c’était le point délicat qui pourrait tout compromettre. Ils évitaient de traiter la question à fond, ils se bornaient à de vagues assurances et se berçaient de l’espoir d’amener le pape à un arrangement. L’empereur se tenait pour engagé avec Pie IX, mais il se flattait qu’après sa mort il trouverait moyen de tout concilier avec son successeur[1]. Cette manière d’agir était conforme aux traditions italiennes et au caractère de l’empereur, toujours hésitant dès qu’il s’agissait du pape.

« Lorsque les ministres intervinrent, ils demandèrent formellement, comme contre-partie de l’assistance effective qu’ils nous promettaient, le règlement de la question romaine sur la base de l’évacuation des états pontificaux. Le traité devait réaliser une triple alliance entre la France, l’Italie et l’Autriche.

« M. de Beust se montrait hostile au pouvoir temporel, il excitait l’Italie dans ses exigences sur Rome. Il s’inspirait sans doute des sentimens anticléricaux du parlement autrichien.

« On finit par aboutir, en juin 1869, à une rédaction en peu d’articles; le projet stipulait une alliance défensive de nature à pouvoir se transformer aisément en une alliance offensive. L’Italie, appuyée par l’Autriche, demandait formellement le retour à la convention du 15 septembre 1864. Nos troupes devaient être rappelées, nous prenions l’engagement de ne revenir à Rome sous aucun prétexte, tandis que l’Italie se réservait la possibilité de l’occuper. C’est sur ce dernier point que les pourparlers échouèrent; une communication officieuse du marquis de La Valette informa le gouvernement italien qu’il ne serait pas donné suite au traité, que les négociations étaient suspendues, que la France cependant se réservait de les reprendre quand elle apprécierait qu’elles auraient plus de chance d’aboutir. »

Cependant les trois souverains continuèrent à échanger des lettres et à se promettre une assistance réciproque, sans rien préciser toutefois. Ces lettres ne servirent qu’à entretenir les illusions de l’empereur. Il s’en exagéra l’importance, il les considéra comme l’équivalent d’un traité; il laissa passer l’occasion pour régler avec le cabinet de Florence la question romaine, l’insurmontable obstacle à la triple alliance.

« Puisse Votre Majesté ne pas regretter un jour les trois cent mille baïonnettes que je lui apportais! » dit le général Menabrea

  1. « Napoléon III était bien persuadé que tôt ou tard l’Italie arriverait à Rome. Il ne le cachait pas, mais il ne voulait assumer aucune responsabilité, il lui répugnait de passer pour complice. Son irrésolution tenait à ses difficultés intérieures, à l’influence de ses contours et peut-être aussi aux engagemens qu’il croyait avoir pris avec Pie IX. » (La Vita e il Regno di Vittorio Emanuele.)