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à l’empereur d’intervenir comme le Neptune de Virgile pour dicter ses conditions. Tout nous commandait de ne pas la compromettre et de ne pas laisser les événemens s’engager sans nous être prémunis, contre la transformation du centre de l’Europe, par les plus solennelles garanties. Rien ne pressait d’ailleurs. L’Italie pouvait attendre, elle était constituée; l’empereur avait mis en mouvement tous les ressorts de sa diplomatie pour la faire reconnaître successivement par toutes les puissances. Il lui avait permis de violer la paix de Zurich, d’envahir les Marches et les Romagnes, de déposséder le roi de Naples, le grand-duc de Toscane, le duc de Parme et le duc de Modène. Jamais le rêve d’un peuple ne s’était réalisé avec une telle promptitude.

Il est vrai que les promesses contenues dans l’imprudente proclamation de 1859 étaient restées en souffrance. L’Italie n’était pas libre jusqu’à l’Adriatique, et la question romaine, léguée par M. de Cavour, n’était pas résolue. Mais qu’importait à la France? Elle trouvait qu’en sacrifiant 50,000 hommes et 400 millions, elle avait assez fait pour la cause italienne; elle commençait à comprendre que c’était un métier ingrat de dépenser ses forces vives à constituer des nationalités. L’Italie n’en continuait pas moins à harceler l’empereur de ses plaintes, elle faisait appel à sa magnanimité. Si elle n’allait pas jusqu’à lui demander de déclarer la guerre à l’Autriche et de lui arracher la Vénétie, elle le suppliait de sortir de la Péninsule, d’évacuer les états pontificaux. Au dire de sa diplomatie, cette concession devait tout concilier; elle donnerait au gouvernement une autorité nouvelle et lui permettrait de sauvegarder la papauté. L’empereur, sans consulter et même sans prévenir sa légation à Turin[1], se prêta à la convention du 15 septembre.

C’était un expédient, qui, loin d’apaiser la question romaine, devait provoquer entre la France et l’Italie de regrettables déchiremens. La

  1. Si M. Drouyn de Lhuys, avant d’engager la France, avait jugé utile de se faire renseigner par son ministre à Florence sur l’état des esprits dans la péninsule, il eût appris que le tableau que lui faisait la diplomatie italienne des exigences de l’opinion était pour le moins exagéré, qu’on ne se passionnait à ce moment ni pour Rome, ni pour Venise, mais que le ministère en était réduit à des expédiens et qu’il cherchait à raviver les passions nationales pour conjurer ses embarras financiers et administratifs. La légation de France à Turin ne fut informée du résultat des négociations que M. de Pepoli poursuivait secrètement à Paris, que le jour même où l’Opinione apprenait au Piémont, de la façon la plus cruelle, par un simple entrefilet, qu’il était dépossédé de la capitale. L’irritation se reporta comme de raison contre la France. On prétendit que l’empereur, en souvenir des sifflets qui l’avaient accueilli à Turin, à son retour de la campagne de 1859, avait exigé la translation dans un sentiment de vengeance. Ce ne fut qu’un mois après la signature du traité que M. Drouyn de Lhuys fit connaître à M. de Malaret et à M. de Sartiges, dans une dépêche antidatée du 12 octobre, les stipulations intervenues entre le gouvernement impérial et le cabinet de Turin.