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I.

Avant 1866, tous les hommes politiques italiens affirmaient et poursuivaient loyalement l’alliance française. Ils mettaient toute leur habileté à nous témoigner une franchise et une soumission à toute épreuve. On avait beau les inciter et les représenter comme des instrumens dociles et pusillanimes de notre politique, ils n’en continuaient pas moins à réclamer nos conseils, à protester de leur inaltérable dévoûment. Leur œuvre était inachevée, ils comprenaient qu’elle dépendait du bon vouloir et de l’assistance de la France. C’était le temps où le comte Arese et le marquis de Pepoli passaient et repassaient sans cesse les Alpes pour solliciter notre appui, stimuler nos ardeurs, et arracher à l’ami et au parent des concessions que le souverain aurait dû refuser. On admirait alors la sagesse de l’empereur, la grandeur de ses conceptions. On parlait de reconnaissance, d’alliance éternelle. Le prince Napoléon, fidèle à la pensée qui avait présidé à son mariage, se constituait au sénat l’ardent défenseur de la cause italienne ; il démontrait, dans d’éloquens discours, que l’unité de l’Italie, avec Rome pour capitale, assurerait la grandeur de la France. Il affirmait, sans se préoccuper de la divergence de leurs intérêts sur le littoral de la Méditerranée, que les deux peuples, soudés par la solidarité du suffrage universel et du principe des nationalités, resteraient à jamais unis. Il estimait que, pour réformer la carte de 1815 dans l’intérêt de la France, il fallait l’émancipation de l’Italie, et que ses escadres, unies à la marine française, feraient contrepoids à la puissance navale de l’Angleterre. Il racontait aussi qu’en 1814 des patriotes italiens, inspirés par Rossi, s’adressèrent à Napoléon, enchaîné à l’île d’Elbe par la coalition européenne; ils lui demandèrent de se mettre à leur tête, de chasser l’Autrichien et de reconstituer l’Italie. L’offre parut aller au cœur de Napoléon : « J’ai été grand sur le trône de France, par les armes, disait-il, mais mon règne a été plutôt celui d’un conquérant. A Rome, ce sera une autre gloire, aussi éclatante que la première, mais plus durable, plus utile. Je ferai des peuples épars de l’Italie une seule nation. Je créerai des routes et des canaux, j’ouvrirai de vastes débouchés aux industries renaissantes; je ferai de Naples, de Venise et de la Spezzia de grands chantiers, de Rome un port de mer. Dans vingt ans, l’Italie sera une des plus