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teur des Intimités et des Humbles ? Il n’est pas moins vrai cependant que de ce genre populaire, — en le ramenant aux justes et modestes proportions qui lui conviennent, baissant le ton et ainsi l’approchant de la réalité, s’attachant d’ailleurs à l’exacte et scrupuleuse observation du détail, — M. François Coppée s’est fait un genre original et nouveau. Si c’est moins « poétique » peut-être, c’est plus réel, plus observé, comme nous disons, et plus vécu. Mais, de tous les Parnassiens, ou du moins de tous ceux que M. Catulle Mendès revendique pour l’honneur de « l’école » ou du « groupe, » celui qui jusqu’à ce jour, tout en acceptant la discipline commune, a le mieux su réserver sa personnalité, c’est M. Sully Prudhomme. Il n’est pas ici question de juger son œuvre, mais seulement d’en indiquer l’un des caractères essentiels. M. Sully Prudhomme est un poète philosophe, et le seul qui, dans ce temps, ait vraiment mérité ce nom. Je veux dire qu’à ces sublimes lieux-communs qui liennent d’ailleurs si bien leur place dans l’œuvre de Lamartine ou de Victor Hugo, M. Sully Prudhomme a tenté de substituer les formules précises du spinozisme, du kantisme, de l’hégélianisme, du darwinisme, et généralement des doctrines ou des systèmes qui, tour à tour ou simultanément, se sont disputé et se disputent encore l’empire de la pensée contemporaine. Il n’a pas toujours réussi, mais il n’a pas échoué complètement. C’est beaucoup, sans doute, si l’on considère les difficultés et les dangers mêmes de la tentative.

Ces quelques exemples, très divers, achèvent de bien montrer la direztion de l’essor et des ambitions de nos Parnassiens. Après trente ans bientôt passés, les œuvres de M. Sully Prudhomme et celles de M. François Coppée répondent encore au programme que les premières poésies de M. Leconte de Lisle avaient jadis tracé. Rien ne serait plus facile que de leur être injuste. Il suffirait d’établir entre eux et leurs prédécesseurs, Hugo, Lamartine et Musset, la crue’le comparaison que les historiens de la littérature établissent entre nos grands tragiques et ces pâles imitateurs dont on pourrait bien dire qu’ils les ont parodiés plutôt encore que copiés: un Marmontel, un La Harpe, un Lemierre, grands hommes d’ailleurs en leur temps, et tous les trois académiciens. Mais la différence est considérable, et si les Parnassiens se sont souvenus des Contemplations ou de la Légende des siècles aussi souvent que nos soi-disant tragiques du xviiie siècle se souvenaient d’Andromaque ou du Cid, ce n’est pas cependant la même chose. Dans quelque art que es soit, il faut bien que nous subissions ceux qui nous ont précédés, puisque nous venons après eux. On ne voit pas, d’ailleurs, ce que nous gagnerions, s’ils ont porté quelque genre à sa perfection, à vouloir ramener ce genre à son enfance. Mais, tandis que nos dramaturges du xviiie siècle, tout en affectant une grande