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L’œuvre des Parnassiens, au surplus, est là pour nous prouver qu’on ne saurait, en matière d’art, tenter aucune innovation dans la forme qui, de proche en proche et comme insensiblement, ne finisse par avoir renouvelé le fond. Rien qu’en se proposant, en effet, de remettre en honneur ce « respect religieux et de la langue et du rythme, » ils s’étaient imposé à eux-mêmes l’obligation d’éprouver de plus près la qualité des syllabes, et, plus difficiles sur le choix des mots, ils s’étaient, par cela seul, rendus plus exigeans sur l’exaciitude et la vérité des choses. Après les Victor Hugo, les Lamartine, les Musset, les Vigny même, on ne pouvait se faire sa place au-dessous d’eux qu’en suppléant à l’abondance de leur inspiration lyrique, par un art plus complexe, plus savant, plus curieux, mais cet art même ne pouvait trouver son support que dans une information plus vaste, une érudition plus précise, des connaissances plus étendues. C’est aussi bien ce que sentait vaguement M. Théodore de Banville quand il donnait aux jeunes poètes ce conseil étrange à coup sûr, dans la forme, de lire « le plus qu'il leur serait possible des dictionnaires, des encyclopédies, des ouvrages techniques traitant de tous les métiers et de toutes les sciences possibles ; » et j’en ai d’ailleurs connu, je parle sérieusement, qui suivaient ce conseil à la lettre. Mais ce que l’on ne saurait trouver ni dans les « encyclopédies, » ni dans les « dictionnaires, » ni même dans un « Traité de la condition des soies » ou dans un « Manuel du fabricant de papiers peints ; » l’exacte notion des choses et l’acception vraie des mots, d’autres poètes, vers le même temps, obéissant à la même secrète influence, les cherchaient où on les trouve, dans la science même, dans la vie, dans la nature.

On a justement critiqué chez les Parnassiens un insupportable abus de la description pittoresque, et nos successeurs l’y critiqueront probablement comme nous ; il faut bien avouer cependant qu’ils ont eu, parmi cette débauche de couleurs, un sentiment de la nature beaucoup plus vif, plus direct et plus franc que les romantiques. Les exemples en abonderaient dans l’œuvre de M. Leconte de Lisle. J’en connais les faiblesses, et j’en ai indiqué les affectitions. Mais enfin, quelque distance qu’il y ait entre le disciple et le maître, entre le poète des Poèmes antiques et des Poèmes barbares et celui des Contemplations ou de la Légende des siècles, s’il le voit de moins haut, ce qu’il nous met sous les yeux, M. Leconte de Lisle l’a vu certainement de plus près et plus fidèlement rendu, moins « littérairement » et plus « littéralement » transcrit. Je sais bien encore à quelles parties de l’œuvre du « magnanime prophète, » comme l’appelle assez plaisamment M. Catulle Mendès, on pourrait rattacher toute cette poésie que l’on a de nos jours désignée sous le nom dti poésie populaire. Ajouterai-je qu’il y a dans les Pauvres Gens, pour ne citer que cet unique exemple, une grandeur épique où n’a jamais atteint ni n’atteindra l’au-