Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vides, pourvu qu’elles fussent neuves, originales ou savantes, des formes telles qu’en ont plus d’une fois trouvé l’auteur d’Émaux et Camées, et, parmi les vivans, celui des Odes funambulesques.

Il importe évidemment que cette préoccupation de la forme ne dégénère pas en manie, et je ne voudrais pas répondre qu’à cet égard les Parnassiens fussent à l’abri de toute critique. J’estime au moins qu’on ne saurait leur faire un juste grief d’avoir enseigné, contre « l’école du bon sens » et de la faute de français, le respect absolu de la langue. « Ne confondez pas agréable avec aimable, accort avec charmant, avenant avec gentil, séduisant avec provocant, gracieux avec amène, holà ! ces divers termes ne sont pas synonymes ; ils ont, chacun d’eux, une acception particulière, ils disent plus ou moins dans le mên’e ordre d’idées, et non pas identiquement la même chose… Les gfiffonneurs politiques, et surtout les tribuns de même nature, enseignait Pierre Charles, ont seuls le droit d’employer admonition pour conseil, objurgation pour reproche, époque pour siècle, contemporain pour moderne… Mais nous, ouvriers littéraires, purement littéraires, nous devons être précis, nous devons toujours trouver l’expression absolue, ou bien renoncer à tenir la plume. » Cette leçon si simple, — si doctoralement et prétentieusement donnée, — prouve sans doute que Baudelaire, qui la donnait, M. Léon Cladel, qui l’a recueillie pieusement, et M. Catulle Mendés enfin, qui la reproduit avec admiration, n’avaient pas fait leur rhétorique, mais enfin la leçon est bonne. Tous les trois, fort ignorans des principes mêmes de l’art d’écrire, et ne sachant pas qu’ils traînaient partout, essayaient péniblement de les réinventer ; on ne peut pas leur en faire un crime, on doit même leur en faire un éloge. Et quand ils se plaignaient de la fâcheuse influence qu’exerçait, qu’exerce encore sur la langue le triste jargon des affaires et de la politique, ils avaient certainement raison. Après quoi, quand Baudelaire continuait en ces termes : « Examinez : ce mot n’est-il pas d’un ardent vermillon et l’azur est-il aussi bleu que celui-là ? Begardez : celui-ci n’a-t-il pas le doux éclat des étoiles aurorales, et celui de la pâleur livide de la lune ? Et ces autres, où s’allument des scintillations égales à celles des crinières inextricables des comètes ! Et ces autres encore, en qui l’on découvre les arborescences splendides et prodigieuses du soleil ! » je conviendrai que Baudelaire ne s’enteoîdait plus lui-même. À moins peut-être, ce jour-là, qu’il ne voulût, selon sa coutume, « faire poser » le naïf disciple, et traiter M. Léon Cladel comme « un simple bourgeois. » On se représente malaisément un bon jeune homme convenant qu’une préposition qu’on lui montre a effectivement « le doux éclat des étoiles aurorales, » et reconnaissant dans une conjonction le scintillement des « crinières inextricables des comètes. »