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ralisme, ou de quelque autre nom qu’on le veuille nommer. Et pareillement enfin, si la poésie lyrique se propose d’être quelque chose de plus, ou seulement d’autre, que l’expression spontanée d’une émotion personnelle, c’est-à-dire si les choses y reprennent la place dont le moi superbe du poète les avait un temps dépossédées, il est inévitable qu’elle soit conduite à chercher la rénovation de son fond dans les raffinemens de la forme.

On a beaucoup divagué sur cette question de forme. Disons donc ici que, partout et toujours importante, — quoique non pas peut-être au sens où l’entendent Bescherelle et Napoléon Landais, — elle l’est à peine moins en poésie qu’en peinture ou en sculpture même. Là est la justification des Parnassiens, et là l’explication de leur réelle influence. Tandis que l’on ne serait pas embarrassé de citer au théâtre des œuvres qui continuent de plaire en dépit de l’incorrection, de l’insuffisance, de la vulgarité du style, comme Bataille de dames ou comme les Demoiselles de Saint-Cyr ; et tandis que, dans le roman même, il est des œuvres mal écrites qui ne sont pas moins extrêmement curieuses ou même presque de premier ordre, comme la Chartreuse de Parme ou comme la Cousine Bette, c’est vraiment en poésie que la forme est inséparable du fond, ou, pour mieux dire encore, que l’insuffisance et la banalité de la forme suffisent toutes seules à précipiter l’œuvre entière dans l’éternel oubli. Quoi de plus naturel ? quoi de plus légitime ? Si l’on écrit en vers, n’est-ce pas pour ajouter à la vérité du fond tout ce que la magie de l’art y peut ajouter de prestige, de séduction, de splendeur ? et quelle raison aurait-on de mesurer, de cadencer, de moduler la pensée, s’il n’y avait dans la modulation, la cadence et la mesure une vertu propre et toute-puissante, à peu près analogue à celle de la ligne en sculpture et de la couleur en peinture ? Les philosophes rechercheront là-dessus à quelle nécessité de la nature humaine répond l’invention du vers ; d’où vient qu’il n’est pas de peuplade barbare, sur les bords d’un fleuve africain ou dans une île perdue de la Polynésie, dont les chansons de guerre ou d’amour n’obéissent aux lois d’une rythmique inconsciente ; et selon quels rapports secrets ou quelles affinités mystérieuses chaqne langue a constitué son système ou son art poétique. Pour nous, nous ne voulons ici constater que deux choses : l’une, que les vers, et surtout dans nos langues modernes, n’expriment rien au fond qui ne se puisse exprimer en prose, et l’autre, qui en découle comme une conséquence nécessaire, que les vers valent donc à peu près uniquement par la forme. C’est ce qui explique pourquoi d’une langue à l’autre les poètes sont intraduisibles, comment il n’est pas envers eux de pire trahiron que de les mettre en puose, et qu’aucun éloge ne leur agrée plus que de. s’entendre dire qu’ils savent tous les secrets die leur art. C’est aussi L’explication du succès qui n’a jamais manqué même à des formes