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pas mon affaire, a-t-il répondu, y a des pousses qui périssent, il y a des boutures qui prennent racine et prospèrent. Nous n’accordons aucune subvention, pas plus que n’en reçoit la Société anglaise du nord de Bornéo. Nous espérons que, grâce aux soins des jardiniers, l’arbre fructifiera. Dans le cas contraire, ce sera une plantation manquée, et le dommage atteindra moins l’empire que les entrepreneurs. Si le pays d’Angra Pequeña n’est qu’une sablonnière, c’est M. Lüderitz qui en pâtira. — Mais, a repris M. Bamberger, si vous posez en principe que l’empire doit intervenir en faveur de tout Allemand qui trouve bon d’acquérir quelque part un territoire et d’y ériger une souveraineté, n’allez-vous pas contracter des engagemens bien dangereux? — Vous imaginez-vous, a-t-il répliqué, que je m’en vais engager l’honneur de l’empire pour tous les écervelés qui courent les mers étrangères? Suffira-t-il qu’un gueux en quête d’aventures m’adresse une supplique pour que j’aille aussitôt, avec toute la lourdeur de la race germanique, me porter garant pour lui? Si jamais vous avez pour chancelier un lourdaud de cette espèce, mettez-le bien vite à la porte; c’est le mieux que vous puissiez faire. »

Quoiqu’il eût déclaré hautement qu’il n’enverrait jamais aucun soldat poméranien tenir garnison dans les colonies, quelques-uns des objectans émirent des doutes à ce sujet. « Il faut espérer, disait M. Richter, que l’armée allemande n’aura rien à voir dans les complications d’outre-mer. Si notre soldat de landwehr avait la perspective d’être arraché à sa femme et à ses enfans par suite de difficultés survenues dans des contrées sauvages, il serait bien désenchanté de la politique coloniale préconisée aujourd’hui par la presse. — A merveille! a reparti aigrement M. de Bismarck. Mais c’est une manœuvre électorale que de vouloir persuader au pays que le soldat de landwehr puisse être employé quelque jour à courir dans une sablière après des nègres anthropophages, ou à faire le coup de feu contre les hordes volantes du Namaqua. Qui s’imaginera de bonne foi que le chancelier de l’empire attende de pareils services de la landwehr allemande? — Cependant, a-t-on riposté, il faut tout prévoir. Si vos protégés étaient menacés ou attaqués, ne seriez-vous pas tenus de les défendre? — Rassurez-vous, messieurs. Quand l’étranger connaîtra notre ferme volonté de protéger nos nationaux contre toute insulte, il nous sera facile de pourvoir à leur protection sans un déploiement particulier de force. Civis Romanus sum. » Tout cela peut être vrai, et il n’est pas à craindre qu’aucune puissance européenne en use cavalièrement avec les protégés de M. de Bismarck. Mais il est également certain que la politique coloniale expose un pays à plus d’un accident, que les nègres anthropophages ont quelquefois l’entendement un peu dur, qu’ils ne respectent que les gens qui leur font peur et qu’ils ne croient à la force que lorsqu’ils la voient et qu’ils la palpent.