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désintéressé et irresponsable. Il désapprouve le système français; il n’entend pas occuper des territoires dans les régions tropicales pour les faire administrer par ses fonctionnaires, pour y établir des garnisons, pour y construire des casernes, des forteresses et des ports. C’est aux individus ou aux compagnies qui ont l’esprit d’entreprise et le goût des hasards qu’il appartient de se charger de tous les frais d’établissement. Après avoir octroyé à ces entrepreneurs de colonies des lettres patentes dans la forme des royal charters, il leur abandonnera le soin de s’administrer à leur façon, il se bornera à leur assurer les bénéfices et Les garanties d’une juridiction européenne. Sous le nom de consul ou de résident, l’empire entretiendra dans les comptoirs de ses nationaux un représentant de son autorité, qui recevra les plaintes, et les contestations qui pourraient naître seront jugées par les tribunaux maritimes ou commerciaux, soit à Brème, soit à Hambourg. « Pas de colonies en serre chaude! s’est-il écrié. Nous voulons seulement seconder en pays étranger les établissemens formés des excédens de sève de tout le corps germanique. Ce que nous avons l’intention de créer, ce ne sont pas des provinces, ce sont des entreprises commerciales, mais capables de posséder et d’exercer des droits de souveraineté qui seront placés sous le patronage de l’empire allemand. Ces entreprises, nous les protégerons aussi bien contre les attaques des indigènes leurs voisins que contre l’oppression d’autres puissances européennes, qui s’aviseraient de léser leurs intérêts. » M. de Bismarck rêve de voir s’établir et prospérer en Afrique et ailleurs des compagnies de marchands allemands sur le modèle de la compagnie des Indes. Il leur dira : « Faites vous-mêmes vos affaires à vos risques et périls, et ne me demandez pas d’argent : je n’en ai point à vous donner. Mais si quelqu’un vous cherche chicane, vous savez où me trouver. Recourez à moi, j’ai les bras longs. »

Le Reichstag a paru ne goûter qu’à moitié les projets coloniaux de M. de Bismarck. Il lui a semblé que le chancelier peignait les choses en beau, qu’il atténuait comme à plaisir les charges et les responsabilités attachées au métier de garant, qu’il glissait bien légèrement sur les hasards et les dépenses dans lesquelles sa politique coloniale, si habile, si circonspecte qu’elle fût, pouvait entraîner l’empire. M. de Bismarck a trouvé réponse à tout, et, comme il lui arrive toujours, il a mêlé un peu de colère à son argumentation. Il a un secret mépris pour quiconque pense autrement que lui, et il considère la nécessité de s’expliquer comme une atteinte portée à sa dignité personnelle. — Etes-vous bien sûr, lui disait-on, que les récentes acquisitions faites par nos nationaux sur la côte occidentale de l’Afrique méritent tout l’intérêt que vous leur témoignez? Avez-vous assez de confiance dans leur avenir pour croire que les profits que nous pouvons en attendre balancent les embarras qu’elles risquent de nous attirer? — Ce n’est