Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/208

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coloniale. Cette fois, ce n’est plus en Polynésie, c’est sur la côte occidentale de l’Afrique qu’il a fait acte d’autorité. Une maison de Brème, représentée par M. Lüderitz, avait acquis une certaine étendue de territoire dans le Namaqua, pays limitrophe des possessions de la colonie anglaise du Cap, dont il est séparé par le fleuve Orange. Il n’est pas difficile d’acquérir de la terre en Afrique; on achète quelquefois tout un royaume au prix de quelques bouteilles d’eau-de-vie. Mais on a de la peine à défendre son acquisition contre la mauvaise foi ou les repentirs du vendeur et contre les convoitises des larrons. M. Lüderitz réclama pour son bien le protectorat du gouvernement impérial; il désirait que le chancelier l’autorisât à hisser le pavillon allemand sur sa station et envoyât un vapeur pour mettre hors d’atteinte et d’insulte le nouvel établissement.

On n’est pas encore bien fixé sur la valeur réelle de la possession d’Angra Pequeña et de la côte qui s’étend du fleuve Orange au cap Frio. Les uns traitent dédaigneusement de sablière la nouvelle colonie, qu’ils représentent comme un pays aussi insalubre qu’aride. D’autres affirment, au contraire, que l’établissement de M. Lüderitz a de l’avenir, qu’il est facile d’installer des pêcheries sur les côtes, que les montagnes voisines renferment des mines de cuivre. Quoi qu’il en soit, l’occupation d’Angra Pequeña causa un vif émoi en Angleterre et une émotion bien plus vive encore dans la colonie du Cap, qui se voyait arrêtée dans son expansion au nord. Elle avait désormais un voisin, et un voisin peu commode; elle avait entendu dire plus d’une fois qu’il faut se défier des chicanes d’Allemand. Plusieurs journaux de la colonie et de la métropole se répandirent en doléances, en protestations, alléguant que la baie et les mines de cuivre avaient été acquises vingt années auparavant par une maison du Cap et revendues à la compagnie la Pomone. Mais il n’y avait eu aucune prise de possession, et, en Afrique plus qu’ailleurs, on ne possède que lorsqu’on occupe. Plus tard, le bruit courut qu’une corvette venait d’être envoyée dans la baie d’Angra Pequeña pour protester contre les prétentions de M. Lüderitz, qui percevait un droit de port sur les bâtimens anglais. Peu s’en était fallu, paraît-il, qu’on n’échangeât des coups de canon. Heureusement tout s’est borné à des échanges de dépêches, de récriminations et d’articles de journaux. Pour la première fois depuis 1870, l’Angleterre avait trouvé l’Allemagne sur son chemin; elle en ressentait ce genre d’étonnement qui n’a rien de commun avec les surprises agréables.

Il faut reconnaître que, dans cette circonstance, la conduite du chancelier a été absolument correcte. Il s’en est expliqué et devant une commission du Reichstag et plus tard, en séance plénière, le 26 juin de cette année : « J’ai abordé cette affaire avec une certaine hésitation, a-t-il répondu aux députés qui, hostiles à toute entreprise