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triomphans succès, l’orgueil de l’Allemand s’était exalté, qu’il avait acquis un plus haut sentiment de lui-même, qu’il lui en coûtait de ne devoir sa sûreté dans les régions lointaines qu’à une protection étrangère, qui était parfois insuffisante. Les gouvernemens coloniaux anglais montraient souvent peu de zèle à défendre les entreprises allemandes contre les avanies ou contre les fripons. Sur la côte occidentale de l’Afrique, dans la baie de la Baleine, un agent de la mission rhénane, n’ayant pu obtenir que le magistrat britannique lui fît justice d’un malhonnête homme avec qui il avait eu maille à partir, saisit au collet son voleur, lui administra vingt-cinq coups de bâton, après avoir eu soin de hisser sur le toit de sa maison le drapeau noir, blanc et rouge. C’était dire à l’univers : « Civis Romanus sum, et Rome est derrière moi. » Mais si les Allemands désiraient que dorénavant leurs nationaux établis en Asie ou en Afrique ne fussent plus obligés de mettre chapeau bas et de plier le genou pour mendier des protections, ils continuaient à traiter de chimère tout projet d’empire colonial ou d’acquisitions lointaines, et les Anglais pouvaient se dire : « Désormais nous serons tenus de traiter avec plus d’égards le parent pauvre; mais nous n’aurons jamais de procès ni de querelle avec lui. »

Cependant M. de Bismarck avait réfléchi. Il trouvait dès 1879 que les affaires de l’Allemagne étaient assez brillantes pour quelle pût se permettre d’étendre le champ de ses ambitions, qu’elle était assez bien montée en linge pour s’accorder le luxe de la pelisse de zibeline. Une société hambourgeoise avait acheté des terrains, commencé des plantations dans les îles Samoa ou des Navigateurs. Ses ressources étant insuffisantes, une seconde compagnie se forma pour reprendre en sous-œuvre cette tentative de colonisation. On devait créer à cet effet un capital de 10 millions de marcs, divisé par actions, et le gouvernement impérial s’engageait à garantir pendant vingt ans un intérêt de 3 pour 100 au capital souscrit. Du même coup, M. de Bismarck, désireux de protéger les intérêts allemands en Polynésie, envoyait aux îles Samoa un officier de marine comme consul général, avec l’ordre d’acquérir des stations de charbon, de refuge et de ravitaillement. Mais, après de longs débats, le Reichstag, à qui la convention fut soumise en 1880, la rejeta à la majorité de seize voix et porta à l’entreprise un coup mortel. Le consul, M. Zembsch, a été rappelé; il est aujourd’hui en congé indéfini, sous prétexte que le climat de l’archipel des Navigateurs ne convient pas à sa santé. Cet échec fut très sensible au chancelier de l’empire, mais il se promit de recommencer. Comme il l’a déclaré un jour au Reichstag, quand il rencontrai de l’opposition dans une majorité malveillante et opiniâtre, il ne renonce pas à ses projets il ne leur dit pas adieu, il leur dit : Au revoir !

Un événement récent a prouvé qu’il prenait à cœur sa nouvelle politique