Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que quelques bandes d’éléphans, — la chasse acharnée que l’on a faite à ces pachydermes ayant eu pour effet de les refouler dans les immenses forêts encore inexplorées du centre. Il est assez curieux de suivre les pérégrinations d’une défense depuis l’endroit où l’éléphant est abattu jusqu’aux factoreries de la côte. Aussitôt que la présence d’un troupeau est signalée, trois ou quatre villages se réunissent. On commence par l’enserrer dans une immense enceinte. Cette enceinte s’établit au moyen de pièces et de cordes en lianes enduites d’un mélange rougeâtre composé de graisse d’éléphant et d’une poudre d’écorce d’arbre. Un enfant briserait aisément cette faible barrière, mais les éléphans n’osent en approcher. Tous les matins, l’enceinte est resserrée, jusqu’à ce que l’on puisse arriver assez près pour pouvoir frapper les animaux à coups de sagaies et de flèches empoisonnées. Les hommes importans des villages se servent même de fusils à pierre. Alors commence un massacre épouvantable, qui ne cesse que lorsque la dernière victime a été abattue; d’après les lois du pays, il est défendu de toucher à un éléphant avant que tous aient été tués. Une fois la chasse terminée, la viande est fumée et les têtes sont enterrées, car, pour enlever les dents, il faut attendre la décomposition des chairs.

Une pareille façon de comprendre la chasse doit amener avant peu la disparition totale des éléphans. C’est à peine si, dans une bande de cinquante individus, cinq ou six portent des défenses dont on puisse tirer profit. Les indigènes font le partage de la viande et de l’ivoire. C’est ici que nos amis les Pahouins rentrent en scène. Aussitôt qu’un Pahouin apprend qu’un village possède de l’ivoire, il s’y rend et, laissant en gage une de ses femmes, prend en échange les dents à vendre. Après quoi il se dirige vers la mer, marchant aussi longtemps que ses forces le lui permettent. Il remet son chargement à l’un de ses compatriotes et reçoit à son tour une femme en nantissement. De Pahouin en Pahouin, après de nombreux échanges de femmes, les défenses finissent par arriver à la côte, où le dernier détenteur les livre contre une certaine quantité de marchandises européennes. Le voyage recommence alors en sens inverse, chacun rentrant en possession de son épouse légitime, les intermédiaires gardant une certaine quantité de marchandises à titre de commission ; ce qui fait, du reste, que le premier propriétaire de l’ivoire ne reçoit qu’un paiement insignifiant.

Jusqu’ici, les factoreries avaient donné d’assez brillans résultats : l’inventaire annuel des anciennes maisons se chiffrait par des millions. Mais aujourd’hui la concurrence va faire monter les prix sans augmenter la production. De plus, l’on ne pourra commercer directement avec l’intérieur sans avoir à lutter contre trois ennemis :