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donner quelques détails sur chacune de ces nations, en m’attachant surtout à faire connaître celle qui, à mon avis, est appelée à jouer un rôle prépondérant dans notre nouvelle colonie de l’Ouest africain.

Les Pahouins, dont le véritable nom est Fans, se divisent en deux grandes familles : les Fans-Oués et les Fans-Makays. Les Fans-Oués, ou petits Pahouins, habitent le bas Ogooué jusqu’à Booué et s’étendent jusqu’à l’estuaire du Gabon. Les Fans-Makays, ou grands Pahouins, appelés aussi Osiébas, occupent le haut du fleuve jusqu’à Bounji et vraisemblablement s’étendent très loin dans l’intérieur ; on en rencontre même quelques-uns au-delà du pays des Okandés,

Ces indigènes ayant toujours répondu évasivement aux questions qu’on leur adressait relativement à leur nation, il en est résulté qu’on n’a pu jusqu’ici reconstituer leur histoire. Cependant le chef des Osiébas de Booué, auquel je demandais un jour s’il n’était pas placé sous l’obéissance d’un souverain quelconque, me fit la réponse suivante : « Il existe là-bas, bien loin (et du geste il me désignait l’intérieur), un grand chef auquel nous obéissons et à qui nous payons tribut, bien que ni moi, ni le père de mon père avant moi, ne l’ayons jamais connu. » Je ne pus tirer autre chose de cet estimable vieillard, qui, cinq minutes plus tard, s’endormait d’un profond sommeil sous l’influence d’une forte dose d’alougou (mauvaise eau-de-vie du pays) dont je l’avais gratifié dans l’espoir de lui délier la langue.

Les Pahouins obéissent-ils à l’instinct mystérieux qui attire les populations de l’intérieur vers la côte[1], ou bien sont-ils refoulés par un peuple plus puissant que le leur ? Toujours est-il que leur race, très prolifique d’ailleurs, est en train de chasser devant elle ou d’absorber les populations du bas Ogooué, qu’elle finira par remplacer complètement.

Deux causes favorisent le développement des Fans : d’abord les nombreux vides qu’a produits le trafic des esclaves parmi les tribus les plus rapprochées de la mer et, en second lieu, la paresse invétérée de ces populations qui, vivant jadis du commerce du bois d’ébène, servent, maintenant que la traite est en partie supprimée, d’intermédiaires entre les traitans, les Pahouins et les nations de l’intérieur.

De tous les naturels de l’Afrique, les Pahouins, semble-t-il, sont les plus faciles à civiliser, les plus disposés à s’instruire. Guerriers,

  1. Schweinfurth fait remarquer le singulier exode de ces populations vers la mer. Chose véritablement curieuse, des tribus n’ayant jamais vu d’Européens connaissent l’existence d’une race fabuleuse, qu’ils considèrent comme une race de demi-dieux, et qui doit, croient-ils, leur apporter la fortune.