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moins pour l’industrie. Il n’y a qu’à voir comment un indigène manie un rabot ou une scie pour affirmer qu’un ouvrier européen, même récidiviste, abattra plus de besogne en une heure qu’un Guyanais en vingt-quatre.

Notre conviction est donc qu’il ne faut tenir aucun compte des plaintes qu’ont fait entendre un certain nombre d’habitans de Cayenne lorsque leur pays a été désigné comme étant celui qui convenait le mieux à la future relégation. Ces plaintes ne sont proférées que pour la forme, pour flatter l’esprit des noirs du pays, bons nègres qui désirent qu’on leur conserve à tout jamais cette douce quiétude dont ils jouissent aujourd’hui, quiétude qu’ils acquièrent en faisant payer une seule journée de travail jusqu’à 12 ou 15 francs s’il y a urgence de les employer. Puisque nous paraissons décidés à vouloir des colonies, il nous les faut prospères, et, pour cela, il nous faut montrer de l’énergie à leur égard, ne pas tolérer plus longtemps qu’elles soient le monopole de quelques créoles indolens et auxquels tout paraît dû. N’a-t-on pas réussi à faire circuler dans l’intérieur de la Guyane une pétition demandant qu’il soit interdit aux étrangers de s’y établir? Et cette pétition, imitation de l’intolérance chinoise et anglaise, a été paraphée par deux ou trois cents colons appartenant aux classes que l’on reconnaît comme intelligentes!


IV.

Après avoir essayé de prouver que les récidivistes doivent trouver hors de France non la liberté absolue, mais une sorte de groupement qui les tienne constamment sous l’œil de la police et in manu; que ce ne sera plus aux tribunaux civils à les juger, mais aux conseils de guerre ; qu’il faudra leur préparer des ateliers, et, sur le refus d’y travailler, leur infliger l’incarcération dans une maison de correction, il ne nous reste plus qu’à répondre à certains esprits, observateurs trop scrupuleux de l’application des peines.

Il est des légistes qui trouvent excessive la loi infligeant à des délits habituellement punis par quelques mois de prison un châtiment réservé jusqu’ici aux pires malfaiteurs et aux assassins. Enlever à tout jamais à son pays le vagabond, le souteneur de filles, l’escroc incorrigible sachant se maintenir toute sa vie sur les limites de la cour d’assises sans jamais les franchir, c’est, à leurs yeux, frapper d’un châtimens hors de proportion de simples attentats à la morale et à la propriété. Ces légistes n’ignorent pourtant pas quelle est la progression annuelle des méfaits; que, de 1872 à 1882, en dix