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Voilà qu’une immigration sous forme de relégation surgit en quelque sorte d’elle-même. D’un seul coup elle peuple la Guyane de dix à douze mille Européens, qui, quoi qu’on en puisse dire, ne seront ni pires ni meilleurs que beaucoup de ses habitans actuels. Certes les récidivistes sont paresseux et ils le seront longtemps; mais croit-on que le travail soit le propre de la majorité des Guyanais? Les récidivistes sont des ivrognes? — Et les nègres donc? Enfin, sous le rapport des mœurs, les récidivistes trouveront un certain nombre de gens qui les valent. Nous ne voyons donc pas les désastres que la relégation causera à la Guyane, tandis que nous y voyons des avantages immédiats. Faut-il les résumer? C’est d’abord un accroissement de population qui, pour un pays dépeuplé, est un véritable bienfait; c’est une main-d’œuvre à bas prix si on la compare à ce que l’on donne à un noir employé aux mines. Un relégué, s’il est contraint de travailler pour vivre, — et il faudra qu’il travaille, sous peine de voir ouvrir pour lui les portes de la prison centrale, — pourra se contenter de 2 fr. 50 par jour, avec le logement et les vivres. Aujourd’hui il faut à un artisan de la Guyane les mêmes avantages, plus 7 francs par jour. Le travail des mines n’étant ni difficile ni pénible, les relégués seront, en raison de leur bon marché, pris de préférence aux gens du pays. Ceux-ci, repoussés des exploitations minières, retourneront à leurs plantations abandonnées et, dans quelques mois, les propriétés reprendront la valeur qu’elles avaient avant la découverte des gisemens aurifères.

Les frais de transport d’un relégué à la Guyane sont de deux tiers moins coûteux que son envoi en Nouvelle-Calédonie; n’est-ce donc pas à considérer[1] ? il y a encore ceci, c’est que la relégation ne versera pas moins de 7 à 8 millions par an à la Guyane : la richesse du pays s’en accroîtra d’autant. Le mouvement commercial devenant plus considérable, un seul courrier par mois se trouvera insuffisant, et l’on peut prévoir le moment où les bateaux transatlantiques entreprendront un voyage tous les quinze jours.

Un câble télégraphique reliant notre colonie américaine à la France s’imposera aussi par le seul fait de l’arrivée à Cayenne de plusieurs milliers de condamnés, comme il s’impose de Nouméa à Paris par Sydney. Le commerce local de la Guyane, qui ne peut trouver ni un commis, ni un teneur de livres, ni un homme de peine, qui les fait venir des Antilles à grands frais, pourra se procurer sur place, parmi les relégués, des sujets pour tous les emplois. Ce qui sera facile pour le commerce ne le sera pas

  1. Transport d’un forçat sur une frégate à voiles pour la Nouvelle-Calédonie : 619 francs ; par un transport à hélice pour la Guyane : 217 francs.