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a fait rejeter le projet d’utiliser nos dépendances de Tahiti. La population indigène de ces archipels est douce; elle a des mœurs faciles et son caractère est tellement malléable qu’il y avait tout à craindre du contact qui devait forcément s’établir entre elle et les récidivistes. Dans un espace restreint, île par île, on eût vu la population océanienne, submergée en quelque sorte dans un élément malsain, perdre cette ingénuité heureuse qu’a si bien dépeinte l’auteur du Mariage de Loti. Une métamorphose aussi complète n’eût-elle pas été à déplorer? Malgré les vices communiqués déjà par les baleiniers de toutes les nationalités à la population de Tahiti et de ses dépendances, il reste encore à celle-ci des qualités très appréciables et qui font l’admiration de ceux qui l’ont fréquentée et jugée de près. Il a donc fallu repousser l’idée d’envoyer les futurs relégués dans ces charmantes îles de l’océan et avec d’autant plus de raison que, dans quelques-unes, l’eau douce est introuvable. En un temps de sécheresse, le manque d’eau eût pu devenir une calamité, une cause très sérieuse d’embarras.

Dès qu’il a été question de la Guyane pour y déposer les récidivistes, quelques protestations se sont fait entendre. Mais si on demandait aux habitans de cette colonie, — à ceux bien entendu qui rejettent la relégation, — le mobile qui les fait agir, bien peu seraient en état de le dire. Ils sentent bien que la terre de leur choix se meurt de consomption, mais, au lieu de réagir virilement, ils épuisent les dernières forces qui leur restent à demander à grands cris deux choses qui ne peuvent leur être accordées et à refuser celle qui peut leur apporter, sinon l’activité et la vie, du moins une amélioration sensible dans leur situation absolument désespérée. Ayant besoin de bras, ils demandent que l’immigration indienne leur soit rendue ou que l’on recrute dans nos possessions de la côte d’Afrique des travailleurs noirs que l’on affecterait à la culture des plantations abandonnées.

Mais la Grande-Bretagne s’est opposée à l’immigration indienne dans la Guyane française, par crainte de la concurrence que des travailleurs indiens feraient à la Guyane anglaise, et cette puissance ne semble pas du tout disposée à l’autoriser de nouveau chez nous. Cette immigration des Indous a même été sur le point d’être supprimée à la Guyane hollandaise, et elle n’est tolérée à Surinam qu’à la condition de ne pas employer d’Indiens aux placers. Quant à transporter à la Guyane française des noirs provenant de nos possessions de la côte d’Or et du Gabon, il n’y faut pas songer. Nous aurions trop l’air de vouloir faire revivre la traite à notre profit pour qu’une pareille immigration puisse être reprise par notre marine marchande sans nous attirer des attaques passionnées.