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est dit : « Les tribunaux doivent considérer comme vagabond l’individu qui, n’ayant pas de moyen de subsistance et n’exerçant habituellement ni métier ni profession, ne justifierait pas d’un travail habituel par un engagement d’un an au moins ou par un livret. » La loi nouvelle des récidivistes eût pu contenir à la rigueur cette pénalité, mais alors que serait devenu le droit de liberté absolue proclamé à la tribune des députés en faveur des récidivistes, une première fois par M. Gerville-Réache, une seconde fois par M. le ministre de l’intérieur? « Je répète, s’est écrié le ministre, qu’il ne peut y avoir d’autres pénalités que celles qui sont inscrites dans la loi et que, quand la loi est muette au sujet de la situation d’un individu, c’est la liberté qui est son droit. »

Il faut bien le redire, le répéter à satiété : les récidivistes ne feront de cette liberté qu’un usage mauvais. Hôtes habituels de nos prisons, la paresse est leur vice capital. Nous désirons nous tromper, mais si ce que nous prévoyons dès aujourd’hui devait arriver, il n’y aurait qu’un parti radical à prendre : renoncer à la relégation comme moyen décolonisation et de moralisation ; envoyer les récidivistes aux antipodes, puisque l’on est unanime en France à vouloir s’en débarrasser, mais qu’ils y soient envoyés pour être soumis dès la première incartade à un système pénitentiaire qui leur fasse regretter celui de nos prisons centrales. Puisqu’ils n’ont d’autre crainte que celle de retourner dans ces prisons, il faut rendre cette crainte utile. Qu’on se garde bien de leur laisser croire qu’être relégué à la Guyane ou aller à la « Nouvelle » sont des expressions synonymes, ne signifiant après tout qu’une retraite dans les pays chauds et du pain assuré pour les invalides du crime. Qu’en pensent nos vieux artisans et les paysans auxquels les bonnes récoltes manquent pendant deux ou trois ans? Mais pourquoi, nous dira-t-on, n’a-t-on pas songé dès le début à forcer au travail les récidivistes? Par cette raison bien simple, que c’était assimiler les relégués à des transportés, et les récidivistes de 1884 aux forçats qui, depuis 1854, subissent leur peine en Nouvelle-Calédonie. On a trouvé l’assimilation blessante pour les premiers, et c’est, on en conviendra, d’une délicatesse extrême ! Pourtant il faudra bien en arriver là et, au lieu de laisser en liberté nos incorrigibles criminels, les tenir in manu.


II.

M. Jules Léveillé, professeur de droit criminel à la Faculté de Paris, dans divers articles fort remarqués, a beaucoup insisté pour que, loin de jouir d’une liberté illimitée, les récidivistes soient