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grande qu’à un ballet et il n’y a pas tant de plaisir. La reine a dit qu’elle veut payer ce que légitimement elle devra. Ce matin, la chambre de la reine étoit si pleine de créanciers que l’on n’y pouvoit tourner. »

Déposé provisoirement dans la chapelle des Augustins, son corps fut porté à Saint-Denis et placé dans le tombeau construit par Catherine de Médicis. Vendu le 11 mai 1622 pour désintéresser ses créanciers, son hôtel fut divisé en trois lots. Il ne reste presque plus rien aujourd’hui de celui du milieu, mais son pavillon d’Issy est encore debout. Allongé de deux ailes, il est devenu la succursale du grand séminaire de Saint-Sulpice. Le parc, chanté par le poète Bouderoue, seul n’a pas changé. M. Ernest Renan, dans ses Souvenirs de Jeunesse, a décrit mieux que nous ne saurions le faire l’étrange transformation qu’a dû subir le manoir de la reine, pour s’approprier à sa pieuse et nouvelle destination : « Les Vénus sont devenues des Vierges ; avec les Amours on a fait des anges ; les emblèmes à devises espagnoles qui remplissaient les espaces perdus ne choquaient personne, on les a respectés. »

Nous voici arrivé au terme de l’étude que nous nous sommes proposée ; nous avons suivi Marguerite pas à pas dès son commencement jusqu’à sa fin. Jamais jugemens plus contradictoires n’ont été portés sur la même femme. Dans le camp de la défense, tous les grands poètes de la renaissance, depuis Ronsard jusqu’à Desportes. Brantôme l’a portée aux nues ; les trois frères d’Urfé se sont passionnés pour elle ; Hilarion de Coste, ce panégyriste enthousiaste des femmes du XVIe siècle, en a fait une victime et une sainte ; Bassompierre l’a énergiquement défendue contre Dupleix, « ce chien qui mord la main du maître qui l’a nourri. » Dans le camp de l’attaque, Aubigné, entraîné par la passion religieuse, l’a accusée d’inceste avec ses trois frères ; Dupleix, un ingrat, Bayle, un froid sceptique, Tallemant des Réaux, un graveleux conteur, Mathieu, Mézeray, de Thou, de graves historiens, l’ont sévèrement jugée. Le blâme l’emporte sur l’éloge. Qu’en conclure ? C’est que l’histoire, volontiers indulgente pour les femmes qui ont loyalement et sincèrement aimé, ne l’est guère pour celles dont la galanterie seule a rempli la vie. Pour n’en demander que deux exemples à deux siècles de mœurs si différentes, on a dit et on dira toujours avec un sentiment de sympathie qui se rapproche de l’estime : Mlle de La Vallière ; on a dit et l’on dira toujours avec un sentiment de dédain qui touche au dégoût : la Dubarry. Les trois frères de Marguerite de Valois l’ont appelée Margot, et ce surnom familier lui est resté et lui restera.


Hector de La Perrière.