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les ai toutes trouvées ? — Ce ne peut être qu’une veuve, répliqua Rosny. — Elle sera tout ce que vous voudrez, riposta le roi ; mais, si vous ne pouvez la deviner, je vous la nommerai. — Nommez-la donc, sire, car je n’ai pas assez d’esprit pour cela. — Ah ! la fine bête que vous êtes ! reprit le roi, vous ne faites l’ignorant que pour me forcer à vous la nommer. Confessez donc que toutes les conditions que je désire, je les rencontre dans ma maîtresse ; non pas que je veuille dire pour cela que je pense à l’épouser, mais pour savoir ce que vous en pensez si, faute d’autre, la fantaisie m’en venoit. »

L’inflexible raison d’état dicta la réponse du consciencieux ministre. Quel serait l’héritier de la couronne, le bâtard adultérin né pendant le mariage de la duchesse de Beaufort avec M. de Liancourt, ou celui qui viendrait après ? Le droit civil ne serait-il pas dans ce cas un obstacle plus grand encore que le droit politique ? Les princes de la maison de Bourbon ne feraient-ils pas, à leur tour, valoir leurs prétentions ? À ces sages réflexions Henri IV n’avait rien à répondre, mais, au fond de son cœur, il garda son espoir secret. Au mois de septembre, il réunit ses conseillers les plus intimes et les appela à délibérer sur la dissolution de son mariage. Tous reconnurent qu’il était indispensable de demander une nouvelle procuration à Marguerite, la première n’étant plus valable. Martin Langlois, l’homme de confiance de la reine, fut désigné pour cette mission, et Sillery choisi pour aller à Rome solliciter la dissolution du mariage ; mais il était indispensable, pour assurer le succès, qu’il eût en main la procuration de Marguerite. Son départ fut ajourné jusqu’au retour de Langlois.

Au mois d’octobre suivant, Henri IV fut pris à Monceaux d’une violente fièvre. Le dévoûment que lui témoigna Gabrielle ne fit qu’augmenter l’affection qu’il lui portait. On peut en mesurer l’étendue au tendre billet qu’il lui adressa en quittant Monceaux : « Vous me conjurez, mes chères amours, d’emporter autant d’amour que je vous en laisse. Ah ! que vous m’avez fait plaisir ! car j’en ai tant que, croyant avoir tout emporté, je craignois qu’il ne vous en fût point demeuré. »

Tant de faveurs venant s’accumuler coup sur coup sur la tête de Gabrielle, il était à redouter que la défiance de Marguerite ne s’en éveillât et que, peu disposée à se sacrifier au profit d’une maîtresse, elle se montrât plus difficile et plus résistante. La lettre de Henri IV qu’emportait Langlois semble l’indiquer : « J’ai toujours cru, disait-il à Marguerite, que vous ne manqueriez nullement à ce que vous m’avez promis et que pour rien ne changeriez la résolution que vous avez prise. De ma part, je ne manquerai à rien de ce que je vous