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part du roi m’apporter les assurances de sa résolution de me revoir bientôt, je pense avoir occasion de croire que je verrai une prompte fin aux lenteurs qui m’ont apporté tant de peines. Je crois qu’il y a des personnes qui n’ont l’esprit bandé qu’à accroître et entretenir le mal, et moi, misérable, je porte la peine de tout. »

La solution était encore bien éloignée. Pibrac, pour se faire pardonner les petites peccadilles que Marguerite lui avait reprochées, plaida chaleureusement sa cause ; mais une rechute très grave du duc d’Anjou allait plus avancer le dénoûment que tous les argumens échangés jusqu’ici. Henri III ne cacha pas à Mornay l’état désespéré de son frère : « Je reconnois, dit-il, votre maître pour mon seul héritier ; c’est un prince bien né et de bon naturel. Je l’ai toujours aimé et je sais qu’il m’aime ; il est un peu colère et piquant, mais le fond est bon. »

En transmettant ce dernier entretien au roi, Mornay l’accompagna de ce noble et énergique langage : « Les yeux d’un chacun sont arrêtés sur vous ; il faut qu’en votre maison on voye quelque splendeur, en votre conseil une dignité, en votre personne une gravité, en vos actions sérieuses une constance, en moindres mesmes une égalité. Ces amours si découvertes et auxquelles vous donnez tant de temps ne semblent plus de saison. Il est temps, sire, que vous lassiez l’amour à toute la chrétienté et parliculièrement à la France. »

Ces sages représentations amenèrent enfin le résultat depuis si longtemps attendu : Henri III put écrire, le 28 avril 1584, à Matignon : « Je sais comme M. de Bellièvre a conduit l’affaire de ma sœur au point que je la pouvois désirer, dont je suis très content. Je vous remercie d’y avoir tant contribué de votre femme que vous avez envoyée vers ma sœur et qui l’a si bien assistée. »


II

Le port Sainte-Marie était le lieu désigné pour l’entrevue. Marguerite alla à la rencontre de son mari. Sans dire un mot, le roi l’embrassa ; puis, rentrant tous deux, ils montèrent dans une chambre du premier étage. Après s’être montrés à une fenêtre, ils se retirèrent au fond de l’appartement. Au bout d’une demi-heure, ils descendirent, et Marguerite monta dans sa litière. Le roi suivait à cheval. Arrivés à Nérac, sur les quatre heures, ils se promenèrent seuls jusqu’au soir dans la longue galerie du château. Quelles paroles échangèrent-ils ? Nul ne put les entendre, mais un témoin caché les suivait des yeux ; c’était cet aventurier de La Huguerie, envoyé par Condé en mission à Nôrac. Il remarqua que