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prendre, le Béarnais s’adressa à ses conseillers habituels. Tous furent d’avis d’envoyer à Lyon, où se trouvait le roi, Duplessis-Mornay, habile et prudent négociateur. Henri III était à la veille d’en partir pour les bains. Reçu dès son arrivée, Mornay, sans préambule, lui demanda qui avait pu le déterminer à une pareille indignité. « Nous donnons quelquefois, répondit-il, nos amitiés à des personnes qui n’en sont pas dignes. Autour de ma personne et de ceux qui me sont proches, comme roi et comme homme de bien, je ne pouvois rien tolérer qui fît tache. — Je ne suis pas venu, répondit Mornay, pour plaider la cause de Mmes de Duras et de Béthune, mais pour le fait de la reine votre sœur. » Henri III, cherchant à mettre en doute ce qui s’était passé, ou à l’atténuer : « L’affront a été public, reprit Mornay, Votre Majesté a trop fait, ou trop peu : trop, s’il n’y a pas de faute ou si elle est légère, car on ne doit jamais toucher à l’honneur d’une femme ; trop peu, si la faute avoit mérité une pareille punition. — De qui tenez-vous tous ces vilains bruits ? » demanda Henri III. Mornay précisa les diverses circonstances, et, avec une logique inflexible, il mit le roi en demeure de s’expliquer. Pressé ainsi, Henri III se rejeta sur l’absence de la reine sa mère et sur celle de son frère d’Anjou. Leur honneur y était aussi intéressé que le sien ; il devait, il voulait prendre leur avis. — « Ce sera bien long, répliqua Mornay ; le trait est dans la blessure, vous ne l’en arracherez pas. La reine votre sœur est en chemin de rejoindre le roi son mari. Que dira la chrétienté s’il la reçoit ainsi barbouillée ? — Que pourra-t-on dire, riposta Henri III, sinon qu’elle est la sœur de votre roi ? » Comme expédient, il offrit de faire partir un personnage considérable qui porterait à son frère de Navarre des explications suffisantes. En attendant, il promit à Mornay de lui remettre une lettre de sa main, et il le congédia.

Forcée de séjourner à Vendôme par manque d’argent, Marguerite écrivit à la reine sa mère : « Madame, puisque l’infortune de mon sort m’a inclinée à telle misère que je ne sais s’il se peut que vous désiriez la conservation de ma vie, au moins, Madame, puis-je espérer que vous voudrez la conservation de mon honneur ; qui me fait vous supplier très humblement ne vouloir permettre que le prétexte de ma mort se prenne aux dépens de ma réputation et vouloir tant faire que j’aye quelque dame de qualité et digne de foi qui puisse, durant ma vie, témoigner l’état auquel je suis, et qui, après ma mort, assiste quand l’on m’ouvrira pour pouvoir, par la connoissance de cette dernière injustice, faire connoître à chacun le tort que l’on m’a fait. Si je reçois cette grâce de vous, j’écrirai et je signerai tout ce que l’on voudra de moi vivante. »

Catherine eut pitié de sa fille et lui envoya 200,000 livres. A l’aide