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plus complexe, celle de l’acide carbonique. Au rebours du précédent, ce gaz éteint les corps enflammés et asphyxie les animaux qui le respirent ; mais il a les mêmes propriétés physiques, se liquéfie aisément par pression et peut être accumulé dans de grands vases de fonte maintenus par un système de frettes que nous n’avons point à décrire. Aussitôt qu’on ouvre le robinet de décharge, un jet de gaz s’élance avec bruit comme le jet de vapeur de la marmite de Papin ; comme celui-ci, il se condense en un brouillard parce qu’en se dilatant il se refroidit au point d’atteindre la température de sa solidification ; il se gèle et retombe de tous côtés, sous la forme de neige. On la recueille dans des vases métalliques légers ; elle est pure et blanche, on peut la tasser, en faire des boules comme avec la neige d’eau, seulement elle est incomparablement plus froide ; elle se mêle avec l’éther en toute proportion et constitue le mélange réfrigérant le plus puissant que l’on connaisse, car on y congèle des masses de mercure dont on fait des médailles ou des statuettes ; on peut aussi le marteler avec des maillets de bois ; il ressemble à du plomb. La température est si basse que les organes s’y congèlent et s’y décomposent aussitôt. Cet acide solidifié comme tous les corps solides peut se garder très longtemps à l’air libre parce qu’il exige un emprunt considérable de chaleur avant de se résoudre en gaz. J’ai entendu raconter qu’un mathématicien célèbre en avait gardé un morceau dans sa bonbonnière et qu’il fut étonné de ne le point retrouver le lendemain. C’est ainsi que s’est vérifiée la prévision de Lavoisier : voici un corps gazeux, un de ceux qui jouent le plus grand rôle dans la nature, que la pression a réduit en liquide et que le refroidissement a solidifié, et il est permis de croire que ce qui a réussi avec l’acide carbonique se fera avec tous les corps de la nature ; leur état ne dépend que de la température : solides quand ils sont suffisamment refroidis, liquides quand on les comprime, gazeux en liberté de pression, avec abondance de chaleur.

Quand la science a semé, l’industrie vient faire la moisson ; puisque les gaz liquéfiés se mettent à bouillir à une température qui peut atteindre — 110 degrés, puisque la vapeur qu’ils émettent enlève une énorme quantité de chaleur aux corps voisins, il était possible de s’en servir pour geler l’eau, faire des boissons glacées, solidifier du mercure, rafraîchir les caves à bière, empêcher la corruption des alimens, etc. On a trouvé des animaux antédiluviens conservés dans les neiges depuis l’époque glaciaire, on pouvait par le même procédé ramener les viandes d’Amérique congelées dans des navires refroidis. Un art nouveau devenait possible, l’art de faire du froid, il est aujourd’hui en pleine prospérité ; il est fondé sur ce principe général : comprimer un gaz jusqu’à le liquéfier dans un compresseur en