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encore le mercure s’y congelait. On peut, avec quelques précautions, faire l’expérience dans un creuset de platine chauffé au rouge sur un fourneau, y verser d’abord l’acide sulfureux, puis l’eau, et en retirer un culot de glace. C’est l’une des plus belles expériences de la physique. En résumé, l’ébullition des gaz liquéfiés refroidit tous les corps voisins, et le plus grand froid que l’on puisse obtenir se produira par leur ébullition dans le vide.

Cette propriété de l’acide sulfureux va se retrouver à un degré encore plus remarquable dans un autre gaz déjà liquéfié par Faraday, le protoxyde d’azote, corps composé des mêmes élémens que l’air, avec cette première différence qu’ils sont combinés et non mélangés, avec cette autre particularité qu’il y a deux fois plus d’oxygène pour la même quantité d’azote : aussi les combustibles y brûlent mieux et avec plus d’éclat que dans l’air : une allumette à peu près éteinte s’y rallume, et c’est le seul de tous les gaz connus qui partage cette propriété avec l’oxygène pur. Les anciens chimistes qui l’avaient découvert savaient qu’il peut être respiré sans autre danger que de causer une sorte d’ivresse, tantôt gaie, quelquefois larmoyante comme toutes les ivresses. Ce point physiologique est resté obscur jusqu’au moment où l’on reconnut que c’est un gaz anesthésique comme l’éther et le chloroforme. Ces propriétés singulières promettaient un liquide curieux. Faraday l’avait obtenu sans l’étudier ; après lui, Natterer construisit une pompe foulante qui pouvait développer plus de 2,000 atmosphères : il n’en fallait pas tant ; elle prenait le gaz dans un sac de caoutchouc et le comprimait dans un réservoir d’acier, comparable à un petit canon très épais, par un étroit conduit servant à la fois à l’introduction du gaz et à la sortie du liquide. Il suffit d’exercer une pression de 30 atmosphères à la température de 0 degré pour transformer le gaz en un liquide très limpide qu’on prendrait pour de l’eau et qu’on verse aisément dans des tubes de verre où il commence par bouillir, puis se maintient immobile après s’être refroidi jusqu’à — 80 degrés ; il garde toutes les propriétés qu’avait le gaz, c’est-à-dire qu’il endort les sujets qui le flairent et qu’il fait brûler avec flamme un morceau de charbon rouge que l’on introduit dans le tube ; il est toujours curieux de voir ce charbon se promener à 1,500 degrés au moins sur un liquide assez froid pour congeler le mercure ; si on fait le vide, on accélère l’ébullition, on augmente le froid et l’on arrive à 110 degrés au-dessous de zéro. Jamais aucun chimiste par aucun procédé n’avait atteint pareil refroidissement ; ce n’était cependant pas la dernière des limites possibles.

Avant Natterer, un ingénieur parisien, Thilorier, avait exécuté une autre liquéfaction que je cite en dernier lieu parce qu’elle est