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rer les choses, et qu’en peignant le mal sous des couleurs imaginaires, souvent violentes, il l’aggrave ; on peut ajouter que les passions révolutionnaires, qui sont toujours prêtes à exploiter les souffrances d’une population laborieuse, ont fait leur triste métier en se hâtant de tout dénaturer et de tout envenimer. C’est possible, c’est même certain. La crise n’est pas moins réelle cependant. Elle a atteint par degrés depuis quelques mois les grandes industries, la métallurgie, le tissage, la teinturerie, et par suite une foule d’autres petites industries qui se rattachent aux grandes. Elle s’est traduite pour un assez grand nombre d’ouvriers en un chômage forcé et prolongé, qui n’est pas seulement une cause de souffrance, qui pourrait n’être pas sans péril avec la saison d’hiver. Si la crise n’atteignait que Lyon, une ville populeuse et laborieuse, ce serait déjà beaucoup ; mais il est bien clair qu’elle n’est pas circonscrite dans une ville, que ce qui arrive à Lyon n’est qu’un épisode d’une crise plus vaste qui s’étend un peu partout, qui atteint l’agriculture, le commerce en même temps que les industries de toute sorte. En d’autres termes, on peut dire que le travail national passe par une épreuve des plus douloureuses, qui a des causes aussi profondes que multiples, qui peut tenir à des circonstances accidentelles, à la difficulté de soutenir la concurrence étrangère, aux relations des ouvriers avec les patrons, aux conditions du salaire, sans doute aussi un peu à une politique qui agite tout sans rien résoudre. Dans tous les cas, quelles que soient les causes, la crise existe, c’est ce qui reste certain, et ici encore comment remédiera-t-on au mal ? La chambre de commerce de Lyon a cru qu’une modification de tarifs qu’elle réclame suffirait pour rendre le courage au travail en offrant aux fabricans un moyen de lutter avec l’étranger. La municipalité lyonnaise, qui n’a pas seulement à songer à l’industrie, qui a aussi le soin de la paix publique, a proposé des secours de circonstance, des travaux de voirie qui ne seraient que des expédiens assez inefficaces. Les ouvriers eux-mêmes se sont réunis, et comme il arrive souvent, les influences révolutionnaires ont envahi leurs réunions pour leur suggérer des programmes de réformes sociales ou radicales qui ne feraient qu’ajouter au mal. Maintenant un nouveau personnage entre en scène : c’est la commission d’enquête, la commission des 44, qui n’avait pas fait parler d’elle depuis quelque temps, et qui vient de reparaître par un coup d’éclat. La commission des 44 est allée par délégation à Lyon, à Saint-Étienne, elle est allée dans les houillères du Nord ; elle ira sans doute aussi consulter les agriculteurs du Nord et du Midi : elle est partout, promenant son éternelle enquête. Malheureusement on ne voit pas bien ce qu’elle va faire là, avec le caractère officiel qu’elle prend et l’appareil dont elle s’entoure. On ne voit bien qu’une chose, c’est qu’elle Fort manifestement, de son rôle, qu’elle confond tout, qu’elle envahit tout, au risque d’annuler ou d’embarrasser l’action des