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protester contre l’article 7. Il est le Félix de Corneille, et il s’en contente c’est aussi la manière de nous contenter. Ah ! si chacun, dans le répertoire, faisait sa partie comme celui-là ! une vivante harmonie s’établirait d’elle-même, et la Comédie-Française deviendrait un parfait orchestre pour l’exécution des chefs-d’œuvre : à l’occasion de cette reprise de Polyeucte, c’est la grâce que je lui souhaite.

Par un singulier hasard, l’Odéon a représenté récemment une pièce nouvelle, le Mari, dont l’exposition est à peu près celle de Polyeucte. Oyez plutôt. Henriette aimait Maurice ; elle était aimée de lui ; elle l’a cru mort ; elle s’est laissé marier à un autre ; tout à coup un messager arrive, un messager en redingote s’entend, et représenté par M. Porel : « Maurice n’est point mort ! » Seulement on a fait des progrès depuis Corneille : Voltaire, qui posait tant de questions indiscrètes à propos de la donnée de Polyeucte, n’aurait pas le temps d’interroger les auteurs du Mari, MM. Nus et Arnould ; ils vont au-devant des objections et expliquent par le menu à quelles conditions le sujet est vraisemblable ; ces conditions elles-mêmes le sont-elles ? C’est une autre affaire. Si Henriette a cru Maurice mort et a épousé M. de Roveray, c’est que ce gentilhomme ruiné, — conseillé par sa maîtresse, amie intime d’Henriette et qui désire continuer d’être entretenue, — a fait intercepter par un laquais, en escomptant la dot, les lettres de Maurice, qui voyageait en Amérique ; c’est qu’ensuite il a fait publier par les journaux un prétendu mariage de Maurice avec une Américaine. Voilà qui est simple et s’admet aisément. Aussi bien Corneille, dans la seconde partie de sa carrière, alors qu’il négligeait les caractères et les passions pour l’intrigue et les situations, alors qu’il se piquait de faire des tragédies « embarrassées » parce qu’il pensait y montrer plus d’invention et plus d’art, Corneille eût approuvé ce drame. Ne connaissant pas comme nous les œuvres complètes de M. Dumas fils, il ne se fût pas aperçu que Catherine Moriceau, sous le nom d’Henriette, ayant épousé le duc de Septmons, devenu Roveray, et l’ayant quitté pour vivre avec Gérard, surnommé Maurice, comme ferait une simple héroïne d’Augier, Mme Caverlet, le commissaire de police de la Princesse de Bagdad venait lui enlever la petite fille d’Héloïse Paranquet ; et qu’à la fin, Hippolyte Richond, du Demi-Monde, armé du pistolet de Diane de Lys, se glissait à la cantonade, comme dans la Princesse George, pour renouveler le dénoûment de l’Etrangère. Tant d’incidens eussent paru à l’auteur d’Héraclius et de Sophonisbe les fruits d’une imagination merveilleuse. Pour nous, le pis de ces réminiscences est qu’elles dénoncent chez les auteurs l’habitude de regarder l’humanité dans les ouvrages des autres, et non dans la vie : aussi voyez quel faux sublime ! Henriette découvre tout à coup l’odieuse machination dont elle a été victime ; que croyez-vous qu’elle fasse ? Elle abandonne à ses ennemis toute sa fortune :