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toute prête ; ils demeurent héroïques en scène par la tension perpétuelle de la diction et l’artifice monotone du geste ; héroïques ils disparaissent pour rentrer dans le magasin : quel changement espérer de pupazzi ? M. Laroche est appliqué, Mlle Dudlay a de l’ardeur ; mais le singulier emploi qu’ils font tous les deux de leur peine ! Ni l’un ni l’autre ne se doute que son personnage exprime une diversité merveilleuse de sentimens, ni que ces sentimens soient tous humains. L’un et l’autre déclament comme deux machines, dont l’effet serait de déclamer pour le plaisir. Ils ne s’aperçoivent pas non plus de l’ingénuité du style : Polyeucte abonde en vers délicieux, d’un abandon charmant, d’une grâce enchanteresse ; les vers sublimes sont tout auprès, sans que la langue ait cessé d’être aussi naïve et simple. Avec l’agrément de Bérénice voici l’ampleur d’Athalie, et, en même temps, par tout l’ouvrage, quelque chose de limpide et de pur, je ne sais quoi de nu et de fort, qui sent son primitif. M. Laroche et Mlle Dudlay, apparemment, n’éprouvent aucun de ces mérites.

Ils mettent leur conscience à soutenir le ton élevé qu’ils ont pris d’abord ; ils n’ont qu’une seule corde et la font vibrer toujours également. Même le contraste que fait ce maudit air avec certaines paroles ne les avertit pas de leur faute. Si Pauline raconte son rêve avec trop d’emphase depuis le premier mot jusqu’à ce dernier : « Voilà quel est mon songe, » la réplique de sa confidente : « Il est vrai qu’il est triste ! » a de grandes chances de faire éclater le rire. Il faut cependant que Stratonice fasse cette réponse, à moins qu’un Andrieux ne la change : c’est donc un signe que Pauline doit achever son récit avec moins de pompe. De tels mots, sur la qualité desquels on ne peut se tromper, se tiennent dans le dialogue comme, en tête d’un morceau de musique, la clé qui indique le ton. Mlle Dudlay, pas plus que M. Laroche, ne voit cette clé. L’un et l’autre se guindé d’abord au plus haut et s’y maintient, non sans effort ; nulle détente, nul relâche : et de cette merveilleuse comédie filée par toute la pièce, et qui se pourrait appeler le Jeu de l’amour et du devoir, il ne reste qu’un exercice de déclamation tout-sec. Pauline et Sévère peuvent discourir de leurs maux sans nous émouvoir :


Je veux mourir des miens ; aimez-en la mémoire,


s’écrie M. Laroche. Mais M. Laroche n’a nulle envie de mourir et ne se recommande qu’à peine au souvenir de l’assistance : on ne le sent ni résolu ni attendri.


Je veux guérir des miens ; ils souilleraient ma gloire,


répond Mlle Dudlay. Mlle Dudlay articule « guérir » avec force, en levant le bras, — un beau bras, — vers le ciel, d’un air d’importance et de