Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/940

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nicomède ou de Don Sanche ? Même Pompée, même Rodogune, — plus fréquemment applaudie que le Cid au siècle dernier, — Rodogune, en 1884, est inconnue à la Comédie-Française. A peine si, de loin en loin, le Cid, Cinna, Horace paraissent sur les planches, où, comme dirait maître Jacques, ils ne sont plus que « des fantômes » ou « des façons » de tragédies. Ce n’est pas Mélite ni la Galerie du palais, mais Polyeucte qu’il est besoin de remonter, lorsqu’on veut nous le faire voir, oui, Polyeucte ! .. Il faut d’ailleurs en convenir, Corneille n’est pas sacrifié à Racine ; ce n’est pas pour Bajazet ni pour Bérénice qu’on néglige Rodogune et Pompée : de quoi donc Corneille, chez les morts, se plaindrait-il à Saint-Évremond ?

Polyeucte, avec le premier, le deuxième et le cinquième acte du Menteur, voilà tout ce que la Comédie-Française, le soir du 1er octobre, a su nous donner de Corneille. Il s’est trouvé heureusement que M. le curé de Saint-Roch, homme d’imagination, avait suscité un événement plus extraordinaire pour marquer la matinée de ce jour. Il avait invité cette illustre personne, la Comédie-Française, à une messe chantée en souvenir de son vieux paroissien. Cette démarche avait ému les théâtres, la presse et même un peu le public : le curé de Saint-Roch, s’adressant à cette compagnie, c’était la papauté rendant à l’empereur la visite de Canossa ! On souhaitait au clergé que, dans deux cents ans, si toutes choses avaient suivi leur train, il se rencontrât des comédiens assez tolérans pour lui faire une petite part dans les fêtes d’un second bicentenaire. On publiait que MM. les sociétaires et pensionnaires, ainsi que ces dames, se rendraient à l’invitation du curé en grande tenue mondaine. Pourquoi pas en costume de répertoire ? interrogeaient les délicats. Aussi bien tout se passa le plus congrûment du monde : « Saint Polyeucte, dit Corneille, est un martyr dont, s’il m’est permis de parler ainsi, beaucoup ont plutôt appris le nom à la comédie qu’à l’église ; » les curieux, ce jour-là, purent entendre ce nom à l’église avant de l’entendre à la comédie : M. l’abbé Millault déclama, non sans art, plusieurs des stances que M. Mounet-Sully devait soupirer le soir avec tant d’onction. D’ailleurs, à la fin de son discours, il parut se douter qu’il ne prêchait pas seulement des convertis ; il profita de ce qu’il passait la main dans leurs perruques pour inviter les Sicambres de l’assistance à courber la tête : puisse la dignité de M. le doyen de la Comédie-Française en 2084 n’être pas plus malicieuse envers l’église !

Cependant, pour finir un jour si bien commencé, Polyeucte avec le Menteur mutilé serait bien peu de chose ; on chercha comment faire de cette représentation, presque sans frais, un exercice du culte de Corneille. On avait comme introït, — je veux dire pour lever d’abord le rideau, — un à-propos de l’année dernière : Corneille et Richelieu. On choisit pour évangile, que M. Got serait chargé de lire, le discours