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chaudement embrassé le parti de la France malheureuse et vaincue se sont insensiblement rapprochées de l’Allemagne grandie. Et, cependant, que signifie l’Allemagne pour ce pays latin dont les mœurs, les usages, la langue, n’ont avec elle aucune affinité ? Il ne lit ni ses livres, ni ses journaux, il ne consomme ses produits que sans le savoir, et, seulement, quand ils prennent, sous une contrefaçon déloyale, l’aspect des produits anglais ou français ; s’il reçoit d’elle quelques immigrans, ce sont rarement des maîtres prêts à l’instruire, des collaborateurs disposés à partager ses destinées, ce sont surtout quelques employés de commerce, comptables à lunettes, pratiquant en maîtres supérieurs cette habile tactique d’insinuation, qui unit par une savante installation dans quelque bon poste. Les institutions politiques de la France, la marche de ses idées, l’autorité que prend la doctrine républicaine, c’est là ce qui préoccupe au plus haut point les esprits cultivés que la république Argentine possède en si grand nombre parmi ses nationaux justement fiers de leurs institutions politiques et sociales, qui garantissent si parfaitement la liberté de chacun et dégagent si bien l’individualité. Une chose surprend ces esprits libéraux, c’est de voir la France républicaine tenir en dehors de la direction de ses affaires, à l’heure où elle poursuit la mise en pratique de principes de liberté, dès longtemps proclamés, ceux-là même qui sont considérés à l’étranger comme les chefs et fondateurs de l’école libérale. Ils vivent encore sur les souvenirs du grand mouvement libéral de la France qui eut son aurore en 1830, qui, longtemps arrêté, reprit quelque éclat vers 1863 ; ils ne comprennent pas comment ceux qui avaient été les promoteurs et les apôtres de ce mouvement se montrent rebelles à la nouvelle marche des esprits et se tiennent dans un silence boudeur dont ils ne sortent guère que pour faire à la démocratie des critiques pleines d’aigreur en lui refusant même leurs conseils patriotiques.

Cet intérêt qu’excite la France s’attache aussi à toutes les manifestations de la colonie, à ce qu’elle fait et pense ; on sympathise avec les preuves d’union, de solidarité qu’elle donne fréquemment dans ses fêtes publiques et dans ses œuvres philanthropiques. La colonie en 1832 a fondé sa première œuvre de ce genre, société réduite à quelques membres qui s’est rajeunie chaque année par les services rendus, est parvenue à braver plus de cinquante années de fortunes diverses, à compter plus de trois mille membres, qui créent, entre eux, par leurs souscriptions mensuelles, une véritable assurance mutuelle ; contre la maladie, institution utile qui pourrait être imitée ailleurs, ne coûtant rien à la colonie, fort peu à chacun de ses membres et leur donnant en retour la sécurité du