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bizarre décret en grande pompe avec toutes les cérémonies de la dégradation militaire infligée, sur le front de l’armée, à l’effigie du soldat gaulois, malgré ces extravagances enfantines, indignes d’un cacique impuissant, qu’imagine Rosas de faire précéder tous les actes privés et publics, toutes les proclamations, de cette formule grotesque imprimée en lettres rouges : Mueran los salvages unitarios ! Mueran los Franceses asquerosos ! Muera el chancho inmondo Luis Felipe !

Après la chute de Rosas, arrivée le 3 février 1852, à l’heure où le césarisme, s’emparant de la France, impose silence à ses penseurs, à ses écrivains, à ses orateurs, cette action sur ce pays ne sera pas moins active. Les bannis, les découragés trouvent là des chaires offertes pour y reprendre l’enseignement de la jeunesse qui leur est interdit en France. Les sympathies qui entourent ces vaincus sont d’autant plus vives que cette population vient de traverser vingt années des mêmes épreuves. La direction du collège national, l’instruction de ceux dont la destinée sera de présider et de participer à la merveilleuse transformation : de ce pays, est confiée dès la première heure à Amédée Jacques, l’un de ces exilés, qui a laissé derrière lui un traité de philosophie en collaboration avec Jules Simon et Emile Saisset. En même temps, le général Urquiza ouvre, à Parana, un collège semblable, sous la direction d’un Français aussi, M. Larroque, qui, lui, aura avant de mourir la satisfaction de voir exercer toutes les hautes fonctions de l’état, même la présidence de la république, par l’élite des élèves qu’il aura formés. L’université de Buenos-Ayres, les facultés de droit et de médecine, l’école militaire se constituent, peu à peu sur le plan des facultés et des écoles de France ; ce sont les livres d’enseignement français qui sont dans toutes les mains dans leur texte original. Le jour où le premier kilomètre de chemin de fer est décrété et entrepris par le gouvernement pour son compte, la construction en est confiée, et plus tard l’administration, à des Français ; aujourd’hui encore, aussi bien qu’en 1854, cette ligne modèle, qui fut la première entreprise et qui est la plus prospère, a conservé son caractère d’administration française. Constatons cependant que, malgré ces débuts et cet exemple, qui vaut quelque chose, pas une ligne de chemins de fer, dans cette république où il y en a tant et de si prospères, n’a été jusqu’à ce jour entreprise par des capitaux français. La destinée de notre émigration est d’être abandonnée à elle-même, de n’emporter de France que la résolution de profiter des circonstances que l’avenir fera naître, avec la conviction de n’avoir à compter sur aucun aide, aucun concours de la patrie.

La seule région française où cette règle ne soit pas applicable