Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/895

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui ne laisse pas de causer quelque surprise : l’apparition d’un journal en langue française, le premier peut-être qui ait été publié à l’étranger. Au milieu des troubles de la guerre civile, il poursuivait l’œuvre de Liniers, le rattachement des provinces unies de La Plata à la France. Son existence fut courte ; il n’eut que six numéros, du 29 mars au 17 mai ; ses tendances étaient hardies et l’heure sans doute mal choisie pour relever au dehors le drapeau de la France, qui comptait si peu en Europe. Les rédacteurs de l’Indépendant étaient Charles Robert, ancien préfet de la Nièvre, Jean Lagresse, Auguste Dragumette, capitaine au long cours, Narcisse Parchappe, frère du général de l’empire, et Antoine Mercher, ex-aide-de-camp du général Gautier, de l’état-major de Napoléon. Accusés de conspiration contre les Provinces-Unies, ils furent arrêtés, convaincus du crime imputé et condamnés. Robert et Lagresse furent fusillés le 3 avril 1819, leurs compagnons expulsés.

La colonie française était assez nombreuse pour leur faire de brillantes funérailles, présidées par son consul, M. Leloir, et par un savant dont la vie entière se passera dans cette région, M. Bonpland, le compagnon de Humboldt ; mais elle était impuissante à protester contre ces cruautés inattendues sous un régime de liberté. De ce groupe nombreux ne sortira personne jusqu’en 1826 pour reprendre sinon l’œuvre politique, du moins celle de propagande française par la création d’un nouveau journal. Un Français, Jean Laserre, dont le nom est aujourd’hui brillamment porté par son fils, officier supérieur de la marine argentine, sera, pendant plusieurs années, le promoteur de toutes les publications françaises. Il commence, en 1826, par l’Écho français, la série des journaux, qui, au milieu des événemens agités de cette époque, ne disparaîtront que pour reparaître : en 1827, l’Abeille, en 1828, le Censeur ; en 1829, le Spectateur ; et d’autres encore en 1831, 1832, et même en 1840 et 1841, alors que la république est en guerre avec la France et que le blocus de la flotte française, commencé en 1838, n’est suspendu que pour reprendre bientôt et ne se terminer qu’en 1846. Nous en trouvons un autre à une époque agitée, en 1854, rédigé par M. Charles Quentin, hier encore administrateur de l’assistance publique à Paris, qui, ayant pris en main la défense énergique des intérêts étrangers, fut expulsé par Urquiza. Ces nombreuses créations suffiraient à démontrer la tendance des Français à l’étranger à se grouper autour de leur drapeau, à se constituer en véritable famille ; malgré les dissentimens d’opinions, les luttes d’intérêts qu’ils peuvent avoir, ils recherchent en eux-mêmes les élémens sociaux, soucieux de créer à l’étranger la vie en réduction d’une ville de France ; nulle part ils ne se noient au milieu de la société