Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/885

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LA
COLONIE FRANCAISE
DE BUENOS-AYRES

« Le Français ne sait pas émigrer et n’est pas colonisateur : » c’est là un des axiomes de la science sociale aujourd’hui les moins discutés, accepté qu’il est par ceux même qu’il devrait blesser le plus. De toutes les vérités que l’on se dit à soi-même, à la manière de Brid’oison, il ne saurait y en avoir pour un peuple de plus humiliante ; il n’en serait pas, si elle était justifiée, qui fît moins d’honneur à notre race, qui condamnât plus sûrement la démocratie française an néant. L’expansion au dehors, le besoin d’élargir l’aire de son action, ne sont-ils pas des nécessités de son existence ? Elle serait destinée à périr si elle se laissait enfermer dans les limites étroites de la vie de France, où toute aspiration devient empiétement, où les ambitions les plus justifiées ont toujours chance de troubler l’ordre social, où le royaume des élus est limité et partant défendu.

Si la France du XIXe siècle avait réellement renoncé à répandre au dehors, avec ses ambitions, ses qualités de race, elle trahirait les plus sûres traditions de son histoire, qui relient les Gaulois demi-barbares aux légions des croisades, cette grande émigration du moyen âge, aux soldats de Guillaume le Conquérant, ces colonisateurs sans rivaux, aux colons de la Louisiane et du Canada, restés Français après un siècle d’abandon, et enfin aux conquérans de l’Algérie et aux aventuriers de la Californie, dont l’œuvre n’a pas été stérile.