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comprises, ce qui réduit à très peu la proportion des campagnes, où existent tant de facilités de chutes qu’offrent les distances parcourues, l’isolement des fermes, et de périlleuses cohabitations.

Ce qui est en réel progrès, c’est la sociabilité. Louons ce qui dans les âges antérieurs mérite d’être loué, mais reconnaissons que cet homme, habituellement bon, généreux à ses heures, contenait en lui une bête féroce, — Chateaubriand l’a dit et on l’a vu de reste. Ses instincts farouches n’ont pas même eu toujours besoin d’être stimulés par quelque genre de fanatisme. Ils se donnaient carrière, il y a un demi-siècle à peine, dans des rixes sanglantes d’homme à homme, de village à village, et dans ce barbare jeu de la soule, qui mettait des populations aux prises, et se termina parfois par des massacres, comme à Pont-l’Abbé, il y a justement une cinquantaine d’années. Ce jeu consistait dans la poursuite acharnée d’un ballon rempli d’air, image, dit-on, du soleil, sol, d’où le mot soule, reste superstitieux du vieux culte où le dieu soleil jouait un grand rôle. Quoi qu’il en soit de cette savante explication, ce jeu n’existe plus, si ce n’est peut-être dans quelques localités comme une distraction inoffensive.

Qui ne connaît l’atroce coutume de certaines populations des côtes d’attirer les navires par de faux signaux pour causer leur naufrage et se partager leurs dépouilles ? On alla plus d’une fois jusqu’à empêcher d’approcher du rivage les malheureux qui luttaient avec désespoir contre les flots. Ces habitudes de pillage, accompagnées encore parfois d’actes odieux, survécurent longtemps sur quelques points de la côte. Cet usage barbare a disparu par le progrès des mœurs, aidé, on doit l’avouer, par l’intervention de la gendarmerie. Les vieillards se souviennent encore d’un des survivans de ces grands pillages, le « Sauvage » d’Audierne. Il y vécut jusque dans un âge avancé. Quand la tempête avait fait son œuvre, il quittait sa hutte et courait au rivage pour épier l’épave.

Consultez l’histoire des guerres civiles, vous y trouverez des choses atroces. Cette paysantaille, comme l’appelle le chanoine Moreau, de Quimper, le vieil historien breton, nous la montre lorsqu’elle s’empare de cette ville pour tirer vengeance des nobles qui introduisaient les coutumes de la féodalité française, « cruelle et inexorable. » Dans un de ces vieux poèmes (Jeanne la Flamme), le paysan breton, voyant les ennemis et leurs tentes consumées par l’incendie qu’il a allumé, s’écrie : « Nous aurons une belle récolte… Rien n’est tel que des os d’ennemis broyés pour faire pousser le blé. » Dans un autre de ces poèmes imprégnés de la férocité native, il dira que a la vue du sang et des têtes broyées le fait rire à grince-cœur. » Ce n’est plus un homme, c’est un loup à face humaine.

On trouve dans cette Bretagne christianisée un écho des