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de M. Carlyle. Il revenait de Bath House, cette éternelle Bath House. Si l’on additionnait tous les milles que M. Carlyle a faits à pied pour y aller et en revenir, je me demande combien il y en aurait de milliers. Chacun d’eux met une borne milliaire de plus entre lui et moi. O mon Dieu ! la première fois que j’ai aperçu cette maison jaune, sans savoir et sans me soucier de savoir à qui elle appartenait, combien j’étais loin de me douter que, pendant des années et des années, je sentirais sur mon cœur le poids de chacune de ses pierres ! .. Bon ! voilà que je fais du sentiment ! Alors je m’arrête, bien que les pensées que j’ai elles dans mon lit sur tout cela fussent assez tragiques pour remplir toute une page qui aurait eu pour moi un vif intérêt, et bien que « rien ne soulage, ainsi que l’a finement remarqué George Sand, comme la rhétorique. »

« 23 octobre. — Journée orageuse dans la maison ; aussi je suis sortie de bonne heure et j’ai marché, marché, marché. S’il ne dépend pas toujours de soi d’avoir la paix et la tranquillité, on peut toujours se fatiguer le corps, — ce qui, après tout, n’est pas un trop mauvais succédané. La vie prend pour moi l’aspect d’un kaléidoscope où le noir prédomine. La destinée le secoue, formant de nouvelles combinaisons, mais avec les mêmes élémens. La journée d’aujourd’hui a été toute pareille à une autre journée d’il y a dix ans, dont je me souviens encore. C’était le même temps brumeux d’octobre, le même tumulte d’esprit contrastant avec le calme du dehors, les mêmes causes à ce tumulte. Comme aujourd’hui aussi, j’avais marché, marché, marché, sans autre but que de me fatiguer. »

« 25 octobre —… Mon cœur est très endolori ce soir, mais je me suis promis de ne pas faire de ce journal un Miserere, je vais donc prendre une dose de morphine et faire l’impossible pour dormir. »

« 31 octobre. — Il pleut ! pleut ! pleut ! — 0 Seigneur ! c’est trop ridicule ! comme disait ce fermier d’Annandale en voyant qu’il commençait à pleuvoir pendant qu’il faisait une prière pour que son foin ne fût pas mouillé. Je n’ai pas de foin à rentrer, mais j’ai beaucoup d’épines à m’ôter de la chair, et cela demande aussi du soleil…

« Passé la soirée à raccommoder, entre autres, les culottes de M. Carlyle. Du temps où j’étais « fille unique, » je n’avais jamais souhaité de raccommoder les culottes des hommes, — non, jamais !

« 1er novembre. —… Il fait beau dehors, mais dans la maison il souffle un ouragan terrible.

« 5 novembre. — Seule ce soir. Lady A… est revenue ; et naturellement, M. Carlyle est à Bath House.