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légèrement à la gaillardise. Mme de Grignan commençait une de ses lettres en demandant à sa mère de deviner ce qu’elle avait fait la nuit : « J’ai tremblé depuis les pieds jusqu’à la tête, répond sa mère ; je croyais que tout fût perdu ; il se trouve que vous avez attendu votre courrier et que vous avez bu à la santé du roi. J’ai respiré. » Voici un exemple du genre d’esprit un peu froid, mais plaisant, de Mme de Grignan ; elle disait que toute sa toilette était toute naturelle : « Cheveux frisés naturellement avec le fer, poudrés naturellement avec une livre de poudre, du rouge naturel avec du carmin ; cela est plaisant. » Elle envoyait à sa mère une citation « adorable » de son voyage triomphal à travers la Provence. « Je crois lire un joli roman dont l’héroïne m’est chère ; cette promenade dans les plus beaux lieux du monde, dans les délices de tous vos admirables parfums, reçue partout comme la reine,.. ce morceau de votre vie est si extraordinaire et si nouveau et si loin de pouvoir être ennuyeux que je ne puis croire que vous n’y trouviez du plaisir. » Néanmoins ces éternels parfums ennuyaient et fatiguaient Mme de Grignan. Elle eût voulu s’en restaurer « sur un panier de fumier. » Et elle tirait de là cette maxime, c’est « qu’il n’y a point de délices qui ne perdent ce nom quand l’abondance et la facilité l’accompagnent. » Une autre maxime du même ton, et plus désenchantée, est celle-ci, « qu’il faut se désaccoutumer de souhaiter quelque chose. » Très souvent, malheureusement pour nous, les allusions de Mme de Sévigné aux lettres de sa fille sont des rébus dont nous n’avons pas le mot et qui irritent la curiosité sans la satisfaire : « J’ai reçu votre aimable volume ; jamais je n’en ai vu un si divertissant… Jamais les amans de Mme de Monaco n’ont tant fait pour elle… Ce que vous dites du premier et du dernier est admirable… Vous me parlez bien plaisamment de la famille d’Harcourt. » Ainsi tout cela était plaisant et divertissant au dernier point, mais nous ne savons pas en quoi.


III

Le mercredi 13 juillet 1672, Mme de Sévigné quitta Paris pour aller trouver sa fille en Provence, et le commerce de lettres fut interrompu pendant plus d’un an. C’est seulement vers le mois d’octobre 1673 que la correspondance recommence. Mme de Sévigné avait espéré ramener sa fille avec elle ; mais celle-ci s’y était nettement refusée : « Vous savez par quelles raisons et par quels tons vous m’avez coupé court là-dessus. » Quand elle se sent un peu piquée par la froideur de sa fille, Mme de Sévigné prend le parti de l’admirer et d’attribuer à sa sagesse ce qui venait peut-être d’une