Paris grandissaient à distance dans son imagination et lui faisaient peur : « Vous êtes bonne quand vous dites que vous avez peur des beaux esprits… Prenez garde que l’éloignement ne vous grossisse les objets ; c’est un effet ordinaire. » Elle lui citait l’opinion d’un bon juge, Mme Scarron : « Elle aime votre esprit et vos manières ; et quand vous vous retrouverez ici, ne craignez point de n’être point à la mode. » Mme de Grignan comparait souvent ses lettres à celles de sa mère ; et Mme de Sévigné lui renvoyait ses complimens ; et quelle que pût être la partialité d’une mère, cependant nous ne pouvons croire que celle-ci pût se tromper complètement lorsqu’elle écrivait : « Vous avez des pensées et des tirades incomparables ; il ne manque rien à votre style ; d’Hacqueville et moi nous étions ravis de certains endroits brillans ; et même dans vos narrations l’endroit qui regarde le roi, et votre colère contre Lauzun, contre l’évêque, ce sont des traits de maître[1]. » Quel que fût d’ailleurs le mérite intrinsèque de ces lettres, elles étaient délicieuses aux yeux d’une mère : c’était d’elles que celle-ci disait ce mot charmant : « Je n’ose les lire de peur de les avoir lues. »
Mme de Grignan se laissait aller en écrivant à plus d’abandon et de tendresse qu’on n’est tenté de le croire. Elle sentait vivement le prix d’une affection comme celle de sa mère et elle le lui témoignait : « Vous êtes contente de mon amitié et vous me le dites de manière à pénétrer de tendresse un cœur comme le mien ; vous voyez tout ce qui s’y passe ; vous découvrez que la plus grande partie de mes actions se fait en vue de vous être bonne à quelque chose. » Cette tendresse par lettres ne peut manquer de rappeler à sa mère les froideurs du passé ; mais c’est pour lui pardonner en faveur du présent : « J’admire votre humeur ; elle est au-delà de tout ce qu’on peut souhaiter ; si vous en avez une autre moins commode, il faut lui pardonner en faveur de celle-là, » et avec une délicatesse charmante, elle prenait sur elle la moitié de la faute : « Il faut pardonner aussi à ceux à qui vous vous découvriez assez peu pour ne pas laisser voir clairement toutes ces bonnes qualités. » Cependant, à côté de ces tendresses, il y avait des témoignages de philosophie stoïque qui effrayaient un peu Mme de Sévigné : « Vous avez une vertu sévère qui n’entre pas dans les faiblesses humaines… Ma raison n’est pas si forte que la vôtre. » Mme de Grignan s’habituait à la pensée de rester toute sa vie en Provence, et elle paraissait considérer cet avenir avec fermeté : « Ce que vous me mandez de ce séjour infini me brise le cœur. »
On sait que ces deux dames ne se faisaient pas faute de toucher
- ↑ Voir encore la lettre du 9 mars 1672, du 8 décembre 1673 et du 8 janvier 1674.