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que tous les discours, c’est la réalité, et cette réalité jure étrangement avec toutes les affectations d’optimisme.

Est-ce dans les mœurs politiques et administratives que se sont accomplis les progrès dont on se flatte ? Tout le monde le sent et le dit, depuis quelques années, les abus, les délations, les cupidités de parti, le favoritisme le plus vulgaire, se répandent partout et altèrent par degrés les mœurs publiques. Est-ce dans l’administration des finances que se font sentir les bienfaits de la politique nouvelle ? Un homme certes des plus compétens, qui n’est pas un adversaire pour la république, mais qui ne veut être ni un flatteur, ni un optimiste, M. Henri Germain, décrivait, il n’y a que quelques jours, en traits saisissans et précis devant ses électeurs les dangers de notre situation financière ; il montrait une fois de plus cette situation s’aggravant sans cesse depuis quelque temps par l’excès des dépenses, par les abus de crédit, par le faste des constructions scolaires, par les prodigalités imprévoyantes dans des travaux démesurés et dans des entreprises mal calculées. Est-ce dans le domaine des intérêts agricoles que la politique du jour déploie sa fécondité ? L’agriculture française, on le sait, subit depuis quelques années les plus cruelles épreuves par l’élévation des salaires, par la rareté de la main-d’œuvre, par l’avilissement du prix des denrées ; elle est réduite en ce moment à vendre avec perte des récoltes, fruit d’une année de travail, et il y a même des contrées où l’on ne trouve plus ni métayers ni fermiers, où l’on finit par renoncer à cultiver la terre. Est-ce enfin l’industrie qui doit la prospérité au régime nouveau ? On voit à l’heure qu’il est cette douloureuse crise industrielle qui sévit un peu partout et particulièrement à Lyon, qui laisse dans cette ville populeuse près de trente mille ouvriers sans travail. Que ces crises, ces souffrances de toute une partie de la population française soient dues à des causes bien diverses, qu’elles doivent être passagères, soit, c’est possible. Les souffrances n’existent pas moins ; sans être précisément la conséquence d’un régime politique, elles tiennent assurément en partie, jusqu’à un certain point, à une situation que la politique des concessions radicales a contribué à créer, où toutes les idées sur le travail, sur l’industrie, sur les salaires sont confondues. Et comment pense-t-on remédier à ces crises qui peuvent devenir menaçantes pour la paix publique ? Les uns demandent tout simplement que l’état et les municipalités rouvrent les ateliers nationaux qui ont si bien réussi en 1848 ; les autres, pour soulager l’agriculture et l’industrie, proposent de relever les tarifs de douane et de revenir au système des droits protecteurs. La commission parlementaire dite des quarante-quatre, qui existe depuis près d’un an et qui a reçu la mission d’ouvrir une grande enquête, aura sans doute aussi un avis, peut-être même plusieurs avis. Ce qu’il y a justement de redoutable, c’est la confusion des opinions, le vague des idées,