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Young reconnaît des traces évidentes, elles aussi, de misère et de pauvreté. C’est peut-être tout simplement que le second a pénétré plus avant dans l’intérieur du pays. Leurs témoignages, si nous les entendons bien, ne se contredisent point, ils se corrigent, et en se corrigeant ils se complètent.

Inversement, quand les témoignages sont défavorables, il ne suffit pas de les enregistrer, Il faut les discuter, et c’est encore ce que l’on ne fait pas assez. De tant de voyageurs dont M. Babeau fait passer les récits sous nos yeux, il n’en est presque pas un, parmi les étrangers au moins, qui ne soit frappé, dès qu’il quitte un moment les routes ordinaires, de la saleté du pays. Et, en effet, aujourd’hui même, à tous égards, nous sommes encore loin de la proverbiale propreté hollandaise. Mais la saleté, non plus que l’économie sordide, et non plus que l’âpre avarice, ne sont nécessairement, comme on pourrait le croire, des preuves de réelle misère. De nos jours encore, sous plus d’un toit de chaume, dans une pièce unique, percée d’une seule porte et d’une seule fenêtre, au-devant de laquelle se « consomme » le fumier de la ferme, vivent des paysans qui seraient plus à l’aise, si seulement ils le voulaient, que le journalier ou le petit bourgeois de la ville voisine. Et partout où l’on se nourrit aujourd’hui, malgré la révolution, de pain de seigle ou de bouillie de blé noir, ce n’est pas à dire, si l’on avait le cœur d’en faire la dépense, que l’on ne pût souvent peut-être se nourrir de pain blanc. Rappelons-nous ce paysan dont Rousseau nous parle, « qui cachait son pain à cause de la taille, qui cachait son vin à cause des aides et qui se fût cru un homme perdu si l’on eût pu se douter qu’il ne mourût pas de faim. »


Et voilà comme on fait les bonnes maisons ! ..


La France est le pays de l’épargne, on s’y prive pour amasser ; faute d’avoir le superflu, nous lésinons sur le nécessaire. Et il n’en était pas autrement sous l’ancien régime, car d’où seraient sortis les >écus qui payèrent les biens nationaux ?

Tous ces points, et bien d’autres encore, dont ce ne serait pas assez de dire qu’ils touchaient à son sujet, car ils étaient son sujet lui-même, c’est à peine si M. Babeau les a seulement effleurés. Aussi ne pouvions-nous, en parcourant son livre et n’y retrouvant que l’ombre des qualités de méthode auxquelles nous avaient habitués ses précédens ouvrages, nous défendre de le comparer à un livre dont nous parlions il y a quelque temps, pour en dire d’ailleurs peu de bien : l’Histoire générale des émigrés, de M. Forneron. Moins d’esprit de parti, sans doute, moins de violence, et surtout moins de légèreté ; mais, cette fâcheuse