lui disait et il redressait sa petite taille, il se grandirait en s’élevant sur la pointe des pieds. Pendant un séjour qu’il fit sur les bords du Rhin, la société chorale de Bonn lui donna une sérénade. « Chaque son pénétra dans son âme si avant qu’il crut en mourir, et l’instant d’après il lui sembla qu’il montait dans les airs sur des ailes d’alouette, et qu’il se perdait dans l’éther. »
Il faudrait avoir le cœur bien dur pour ne pas sympathiser avec des joies si candides. Faisons grâce aux amours-propres qui ne sont ni aigres, ni brouillons, ni brutaux, ni féroces. Auerbach avait l’âme bienveillante. À la réserve de Gutzkow et de Henri Heine, il n’a maltraité aucun de ses confrères. Il est vrai que l’éditeur de sa correspondance a eu soin d’en retrancher presque tout ce qui concernait les vivans. Quand un potier écrit à un ami intime, il ne faut pas s’attendre qu’il ne médise jamais des autres potiers, qu’il rende justice à la maison d’en face. Mais Auerbach n’avait point de venin. Il a mordu quelquefois ; c’étaient des morsures de couleuvre, et il n’était pas besoin de brûler la plaie au fer rouge pour prévenir les accidens.
Quelques satisfactions qu’éprouve un amour-propre, il n’est jamais tout à fait content ; il y a toujours de l’inquiétude dans la vanité littéraire. Auerbach regardait ses livres comme des événemens ; on lui en parlait beaucoup, on ne lui en parlait pas assez. Le jour où paraissait un de ses romans, il se mettait à la fenêtre pour regarder passer sa gloire, et bientôt, pris d’impatience, il descendait dans la rue, il arrêtait les gens par le bouton, il leur demandait : « M’avez-vous lu ? que vous en semble ? qu’en pensez-vous ? » Il ne glissait pas, il appuyait ; on ne se tirait pas d’affaire par une réponse brève ou évasive ; il vous serrait, vous enveloppait ; il fallait s’expliquer à fond. Son indiscrétion le rendait redoutable ; on prenait la fuite, on criait : « Sauve qui peut ! » Il ne lui suffisait pas qu’on l’admirât, il voulait qu’on le respectât et qu’on l’aimât : « Je ne sais pas mentir ; ce qu’on appelle la gloire ne me laisse point indifférent, mais l’amour des hommes a pour moi plus de prix encore. Celui qui ne s’intéresse pas à la marche de ma pensée, au développement de ma puissance productive, est peut-être un excellent homme ; mais il n’est pas mon ami et il m’est difficile de lui parler. » Il aspirait à avoir un million de lecteurs, et il aurait voulu qu’ils lui donnassent tous une place d’honneur dans leurs affections. Comme le remarque M. Julian Schmidt, on n’a pas un million d’amis intimes.
Vraiment son amour-propre était exigeant. Si reconnaissant qu’il fût des marques d’attention qu’il recevait des grands de la terre, il se plaignait du peu ; il demandait qu’on doublât la dose ; comme les enfans, il disait : « Encore ! » Il s’étonnait que la reine de Prusse et la princesse royale ne le fissent pas venir plus souvent, qu’elles