de repoussoir à l’anecdote, que l’histoire et la politique interviennent ; musicalement, les choses ne sauraient se passer autrement, d’où la nécessité pour le poète de se subordonner au compositeur. Pour qu’un opéra fût une œuvre harmonique et parfaite, il faudrait que le texte littéraire et le texte musical eussent même valeur, ce qui n’est jamais arrivé qu’au pire sens du mot, — quand l’un et l’autre sont détestables. Deux facteurs étant donnés pour un ouvrage, quelle sera leur situation respective ? Point délicat et variable selon le temps et le pays. A l’origine, c’est le poète qui commande, son art ayant sur celui du musicien le privilège de la consécration. Cependant la musique croît, se développe, et voilà bientôt la partition devenue l’égale du poème. Métastase en Italie, Quinault en France, représentent cette période où les librettistes inscrivaient leur nom dans l’histoire. Si Quinault a survécu aux sarcasmes dont Boileau poursuivait ses tragédies, c’est à ses opéras qu’il le doit, Mais voyez le contraste ; tandis qu’en Italie, en France, le progrès musical va s’affirmant par la littérature, en Allemagne, il s’arrête court, faute d’un auxiliaire qui lui vienne de ce côté. Les opéras de Gluck, qu’il a composés sur des paroles italiennes ou françaises, sont restés debout ; ceux qu’il écrivit sur un texte allemand, — les Pèlerins de La Mecque, par exemple, — ont cessé de compter.
Il semble, en effet, qu’en Allemagne, à mesure que le génie musical s’élève, la dramaturgie lyrique s’abaisse en proportion. Phénomène assurément fort étrange quand on songe qu’aux mêmes temps où il y avait des Weber et des Beethoven, il y avait aussi des Goethe et des Schiller. Oui, certes ; mais les uns et les autres travaillaient à part, presque sans se connaître. Lorsqu’un poète tient un chef-d’œuvre, généralement il le garde pour lui, et ce n’est que chez nous qu’on a pu voir, une fois seulement, dans Eugène Scribe, un librettiste faire époque. Moins heureux que nos Auber, nos Boïeldieu et nos Halévy, les musiciens allemands eurent à lutter contre des textes inénarrables. Nous connaissons Fidelio et le Freischütz parce que la beauté de ces partitions s’imposerait à travers toiti, et que d’ailleurs, si c’est encore là deux mauvaises pièces, l’une a pour elle son pathétique et l’autre son pittoresque ; mais que d’opéras coulés à fond par leur poème : la Jessonda de Spohr, le répertoire tout entier de Marschner ! Weber lui-même a cruellement souffert du contretemps, et son Euryanthe y eût succombé sans la prodigieuse somme de vitalité qu’elle enferme : la musique d’Euryanthe avait en elle de quoi triompher du plus absurde des poèmes. Le véritable opéra de l’avenir fut celui-là ; vous y êtes comme sur une hauteur d’où vous contemplez tout ce qui s’agite dans la plaine ; pas un seul sentiment ne se trouve là que l’opéra moderne, —