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intermèdes de la renaissance ; il a ses origines dans la mythologie antique et son public parmi les lettrés, les artistes et les grandes dames de l’hyperculture italienne. Forme savante et raffinée, l’opéra pénétrera dans le peuple par infiltration ; il n’en vient pas. Une langue idéale, qui seule suffirait pour témoigner de sa filiation, son chant, bien mieux encore que le vers tragique des poètes, l’élève au-dessus de la vie réelle ; ses personnages empruntés à la fable sont, la plupart du temps, ceux de Raphaël et de Michel-Ange, des gloires nationales en quelque sorte ; et, par la suite, quand il sentira le besoin de se moderniser, c’est au poème de Tasse qu’il demandera ses Renaud et ses Armide. L’antique avait pourtant, au point de vue musical, un avantage : il offrait au compositeur des sujets connus d’avance du public, des groupemens faciles pour ses chœurs et des personnages à revêtir d’une individualité typique. Ajoutez à cela la pompe du décor, des costumes et d’une mise en scène rococo tout en harmonie avec l’art de Gluck ; Orphée, Iphigénie, Alceste, l’antique avec un œil de poudre. Son Armide me semble d’un gluckisme moins déterminé et prêtant davantage aux remarques indiscrètes. Reprendre Armide est, à notre Académie nationale, une question en permanence ; les directeurs se la passent de main en main et pas un n’arrive à la résoudre. M. Perrin lui-même y perdit son temps, ne sachant plus à quel style se vouer pour la mise en scène : « A votre place, lui disais-je, un jour que j’étais témoin de ses perplexités, je me lancerais en plein rococo sans reculer devant les tonnelets, casques, turbans, caftans et brodequins à paillettes d’or, tous les panaches, tous les falbalas, toute la turquerie du vieil arsenal. » Peut-être eût-ce été son avis, mais il hésita, pris de scrupules et craignant une fausse interprétation de la part du public.

Ce qu’il y a de certain, c’est que la mode des sujets antiques s’est prolongée fort au-delà du règne de Gluck et qu’elle florissait encore chez nous au moment où Mozart créa son Don Juan, inaugurant au théâtre l’ère du romantisme, que la symphonie de Beethoven allait fonder dans le domaine instrumental. Notons à ce propos que Don Juan, comme les Noces de Figaro, fut composé sur un texte italien, phénomène curieux en un chef-d’œuvre destiné à révolutionner la patrie allemande[1]. C’est que l’Italie avait dès lors des poètes capables d’exercer une influence personnelle sur l’imagination des compositeurs, — ses Apostolo Zeno, ses

  1. Je remarque, en passant, que ce qui jusqu’alors avait manqué, c’était moins la personnalité de l’œuvre que sa nationalité : les opéras comiques de Mozart ressemblent aux opéras comiques de Cimarosa, Joseph et les Deux Journées tendent la main à Fidelio.