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livrer à l’Italie ne compte pas moins de quatre phases : la première, de soumission pure et simple, s’incliner comme Händel, ou, comme Bach, déserter les sentiers de l’opéra. Dans la seconde, une sorte d’opposition se déclare, embrassant à la fois l’opéra italien et l’opéra français, Gluck et Mozart travaillant à germaniser l’un et l’autre, mais sans que la lutte s’établisse encore sur le terrain exclusivement national : Gluck a ses principes d’esthétique, qu’il expose surtout dans des préfaces, plaidant en français et en italien la cause de l’Allemagne. La troisième période nous montre l’antagonisme dans son plein, Weber contre Rossini ; les classes cultivées pour le maître allemand, la masse du public pour l’italien. La crise était ouverte, mais on se tenait encore sur la défensive à cause des prédilections toujours à demeure chez le plus grand nombre. Il ne pouvait donc appartenir qu’à la quatrième phase de prendre l’offensive. » On devine à quel mouvement l’auteur ici fait allusion. Nous y reviendrons tout à l’heure ; en attendant, continuons de suivre M. Riehl et renvoyons à ses leçons ceux de nos critiques qui se croient obligés d’être plus Allemands que les Allemands. Il lui en coûte cependant un peu d’avoir à reconnaître notre prise de possession dès le siècle de Louis XIV, de nous voir, sous le règne suivant, accaparer tantôt Gluck, tantôt Piccinni, et finalement, sous la révolution et sous l’empire, nous retourner à la fois contre l’Italie et l’Allemagne et les battre toutes les deux avec les opéras de Cherubini, de Méhul, de Paër, de Spontini, etc. Paris étant la capitale universelle, il devenait tout naturel que là se confondissent les trois styles nationaux en vogue et que le répertoire français, se substituant à l’italien, envahit à son tour l’Europe. Ce fut pour le génie de l’Allemagne une nouvelle ère de captivité ; après l’air de bravoure des Italiens, il lui fallut endurer le branle-bas de nos orchestres, de notre mise en scène et de nos ballets, influence qui se prolongea bien au-delà de la période de nos conquêtes de la révolution et de l’empire. En littérature, l’Allemagne n’a point de théâtre national. Son théâtre est un théâtre esthétique, de même que sa musique est spécialement instrumentale et symphonique. Il n’y a point ici à contredire, la musique est une chose et l’opéra en est une autre ; or l’opéra, c’est la race romane. Comparez à cet endroit la manière de sentir des divers peuples : l’Italien et le Français, instinctifs, primesautiers ; l’Allemand, réfléchi, abstrait, compliqué, nuageux et théoricien ; le Français, prompt à la réalisation, au coup de main, partout le premier à mettre en lumière, en pratique, l’idée en germe dans le cours des temps. Étudions, au point de vue de l’opéra, le commerce international, parcourons les listes d’exportation et d’importation depuis un siècle et demi, c’est partout la race