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usuriers ; rétablissement du double étalon monétaire et multiplication du numéraire pour que l’argent soit à bon marché ; enfin, ne voter qu’en faveur des candidats qui acceptent ce programme et promettent de le défendre dans le parlement.

On assure que les associations de paysans sont très nombreuses, et l’on prétend que les sociétés d’agriculture et les comices sont délaissées pour ces réunions, où la politique exerce une influence prépondérante. Nous ne croyons pas que les « paysans » connaissent leurs véritables intérêts en s’isolant dans le sein de l’agriculture. Comme classe ils ne forment qu’une minorité, et en politique, ils apparaissent comme des réactionnaires à esprit bien étroit ; on les pousse même à accentuer la réaction, au risque de soulever d’universelles résistances. Pourtant il y a des souffrances réelles, elles sont fondées dans la nature des choses. La population augmente rapidement, et il faut trouver de la place pour les nouveau-venus ; des intérêts divers sont en jeu et souvent en lutte, non sans causer des froissemens. Nous verrons par quels moyens on s’efforce de les atténuer.


II

On a déjà pu s’apercevoir que les plaintes les plus vives des « paysans, » et surtout celles de leurs amis et protecteurs, les grands propriétaires, s’adressent au mode de succession. C’est qu’on se trouve ici devant un problème insoluble. Si la ferme est partagée entre les enfans, l’aisance disparaît, et la seconde ou la troisième génération tombe dans la pauvreté et la dépendance. Si la ferme passe intacte entre les mains d’un des enfans, l’héritier est obligé de se charger de dettes pour indemniser ses frères et sœurs. S’il leur donne une part complète, il lui est presque impossible de jamais se libérer de cette dette ; lui ou son fils seront obligés de liquider, et le bien sortira de la famille. Il ne reste que la ressource de céder la ferme à prix réduit à l’héritier principal, à un prix qui lui permette de vivre, dût-on sacrifier quelque peu les cohéritiers. Mais la législation a cessé de favoriser les tendances aristocratiques, elle restreint la quotité disponible ; même les lois à tendance réactionnaire qui se sont succédé en Prusse depuis 1874 n’ont pas touché à la légitime ; elles n’ont eu qu’un but immédiat, celui de rendre plus rare le partage en nature, que le code Napoléon avait introduit dans quelques parties de l’Allemagne.

Le partage en nature des immeubles, qui est souvent si difficile dans la pratique, n’avait pas cessé d’être combattu par la coutume.