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visites, elle lui fit observer que c’était vouloir révéler à tous un secret qu’elle avait tenu caché. Il ne se rendit pas à cette bonne raison, et son mauvais vouloir, envenimé par la très peu reconnaissante Fosseuse, ne s’en aigrit que davantage.

Les choses en étaient là : Marguerite y vit un prétexte à son départ pour la cour. La vraie raison, c’est que, d’une manière certaine, elle savait que Chanvalon, envoyé d’Anvers en mission par le duc d’Anjou, serait à Paris dans les derniers jours de février 1583. Impatiente de le revoir, elle se fit à plusieurs reprises demander par Catherine. Le Béarnais résista longtemps ; il ne pouvait se résigner à se séparer de sa jeune maîtresse ; il céda enfin et promit à Marguerite de la conduire jusqu’à Saint-Maixent. À la veille de quitter le Béarn, Marguerite eut le pressentiment du sort qui l’attendait : « Ma sibylle, écrivit-elle à la duchesse d’Uzès, votre lettre me sera comme Saint-Elme aux mariniers, me promettant sous vos assurances autant de contentement à mon retour qu’en même lieu j’y ai autrefois éprouvé du contraire. Vous m’aimez trop pour me vouloir tromper ; je ne douteray jamais de vos paroles. Il est aisé de tromper qui se fie, mais je n’attendray jamais cette récompense de l’affection que je vous ai vouée. Je croiray donc votre conseil et avanceray mon partement autant qu’il me sera possible. »


VI

En revoyant Chanvalon, Marguerite oublia bien vite les appréhensions qu’elle venait de confier à la duchesse d’Uzès. Dans toutes ses lettres à son mari sa joie déborde : « Je vous donne toutes sortes de nouvelles, dit-elle. M. de Nemours est si engraissé qu’il est difforme ; M. de Guise est fort amaigri et vieilli. » Elle a même des paroles plus douces en parlant de Henri III : « Le roi a été à la chasse pour trois jours, non sans vous y souhaiter, et à une musique au Louvre qui a duré toute la nuit ; si j’osois vous le dire, vous quitteriez l’agriculture et l’humeur de Timon pour venir parmi les hommes. » Cette bonne intelligence entre le Béarnais et sa femme fut de courte durée, et c’est encore Fosseuse qui devint la cause de cette nouvelle rupture. Cédant aux observations de Catherine, Marguerite venait de la renvoyer. Le roi son mari, très mécontent de cette disgrâce, lui dépêcha Frontenac, porteur du plus impertinent des messages. Marguerite ne pouvait se dispenser de répondre : « Vous dites, écrivit-elle, que ce ne me sera jamais honte de vous complaire. Je le crois aussi, vous estimant si raisonnable que ne me commandiez rien qui soit indigne de personne de ma qualité, ni