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Marguerite au commencement ; mais du jour où elle se donna à Chanvalon, il n’en fut plus de même : les sens prirent le dessus, et la coquette qui se jouait des hommes fit place à la femme ardente et passionnée. Elle, jusqu’alors si réservée, si prudente, se laisse surprendre, à Cadillac, avec Chanvalon par l’indiscret d’Aubigné, trop heureux de le répéter partout et auquel elle ne pardonnera jamais cette méchante indiscrétion.

Tout a une fin. Après un séjour de huit mois en Guyenne, le duc retourna à Alençon et Chanvalon l’y suivit. Cette séparation forcée, loin de refroidir la passion de Marguerite, ne fit que la surexciter. « L’absence, écrit-elle à Chanvalon, la contrainte, donnent à mon amour autant d’accroissement qu’à une âme faible et enflammée d’une flamme vulgaire il apporteroit de diminution. Quand vous viendriez à changer d’amour, ne pensez pas m’avoir laissée pour cela, et croyez que l’heure de votre changement sera celle de ma fin, qui n’aura de terme que votre volonté. »

C’est l’heure la plus tendre de leur lune de miel que Pibrac eut la malencontreuse idée de choisir pour écrire à Marguerite deux lettres bien imprudentes. Dans la première, il la prévenait qu’ayant consulté sur sa nativité, on lui avait répondu que, dans le mois où l’on entrait, elle serait tuée par son mari, et les yeux humides de larmes, il la suppliait de se réfugier à Agen, cette ville qui lui était si dévouée. Dans la seconde, il rejetait cet avertissement sur l’amour qu’il n’avait cessé d’avoir pour elle. Marguerite ne répondit pas, mais garda soigneusement les deux lettres. L’occasion de s’en servir se présenta bientôt : à tort ou à raison, elle crut que Pibrac, loin de favoriser son retour à Paris, son unique préoccupation d’alors, cherchait à y créer des empêchemens. Elle n’est plus maîtresse d’elle-même, le trop plein d’amertume qu’elle avait amassé dans son cœur déborde. « Je m’étonne que, sous une si douce apparence, écrit-elle, il puisse y avoir tant d’ingratitude et de mauvais naturel. Je sais le récit que vous avez fait courir que je voulois retourner à la cour ; ce que pensant que je pourrois découvrir, vous l’avez voulu prévenir par une lettre. » Puis, répondant à sa naïve déclaration : « Vous m’écriviez, dit-elle, une excuse non moins indiscrète et peu considérée pour un homme si sage, qu’autre chose ne vous avoit conduit à me donner cet avertissement que l’extrême passion que aviez pour moi, ce que ne m’aviez osé découvrir, mais qu’à cette heure vous y étiez forcé et à désirer me revoir. Ce sont d’étranges traits pour un homme d’honneur tel que vous êtes et qui seroient peu à votre avantage, venant à la connoissance d’un chacun, ce que je ne voudrois, encore que je ne puisse avoir honte de