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Parties le 7 octobre de La Réole, les reines couchèrent le 9 au port Sainte-Marie et le lendemain entrèrent à Agen, où elles séjournèrent jusqu’au 16 octobre.

Le roi de Navarre avait mis pour condition de la conférence qui devait régler le conflit religieux la présence de tous les députés des églises réformées. Avant de les décider à venir, avant d’endormir leurs défiances, il y avait bien du temps à perdre. Catherine en profita pour pousser une pointe jusqu’à Toulouse, Revêtus de leur manteau de parade, ayant à leur tête le vicomte de Joyeuse, les huit capitouls reçurent Marguerite à la porte de Saint-Étienne. Le lendemain, les membres du parlement vinrent, à leur tour, la complimenter. Elle les reçut couchée dans un grand lit de damas blanc. Au fond de l’alcôve, des enfans de chœur chantaient des hymnes en s’accompagnant du luth. Ces graves magistrats en restèrent ébahis.

Le séjour de Toulouse ne fut pas favorable à Marguerite : elle y fut prise d’une violente fièvre. Sans attendre le rétablissement de sa fille, Catherine, dévorée d’impatience, partit pour l’Ile-Jourdain. Restée forcément en arrière, Marguerite ne quitta Toulouse que le 10 novembre et coucha cette première nuit au château de Pibrac, renommé alors pour ses beaux meubles, Le maître du logis lui en fit splendidement les honneurs. Pibrac avait alors cinquante-quatre ans. Au concile de Trente, il s’était montré habile orateur et s’était élevé plus haut encore à la diète de Pologne. A son retour, il avait été nommé président de chambre au parlement de Paris. Sans oser se l’avouer encore, il avait subi, comme tant d’autres, le charme irrésistible de la beauté de Marguerite, et cette passion naissante exercera une influence bien fâcheuse sur le reste de sa vie.

Le choix du lieu de la conférence restait encore à débattre : le roi de Navarre proposait Pamiers ou Nérac ; Catherine Castelsarrasin ou Condom ; elle finit par accepter Nérac.

Cette décision prise, le 27 novembre, elle quitta l’Ile-Jourdain, où Marguerite était venue la rejoindre. Toutes deux prirent la route d’Audi. Catherine se proposait d’y séjourner et de donner quelques jours aux fêtes et aux plaisirs. Pour complaire aux grandes dames du pays, elle pria sa fille de s’habiller comme à la cour de France. « Vêtue d’une robe de toile d’argent colombin à longues manches pendantes, coiffée à la bolonaise d’un voile blanc, » Marguerite leur parut si belle, si admirablement parée, qu’elles l’acclamèrent. « Comment faites-vous, ma fille, dit Catherine tout enorgueillie, pour vous habiller ainsi ? — Je commence de bonne heure à porter mes robes, répondit-elle, et les façons que j’emporte avec moi de la cour, quand j’y retournerai, je ne les emporterai point, mais j’aurai