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L’heure étant venue de s’arracher « à ce paradis, » le frère et la sœur rentrèrent tous deux dans « l’enfer de Paris. » Tous ces efféminés de la cour de Henri III, la tête emprisonnée dans leurs hautes fraises, les cheveux s’échappant en boucles frisées de leurs toquets de velours, fardés et parfumés comme des femmes, poursuivaient Marguerite de leurs regards impudens ; ils s’acharnaient comme une meute, tantôt sur le duc d’Alençon, l’accablant de leurs railleries, tantôt sur Bussy, qui à lui seul leur tenait tête. Par deux fois le plus bravache d’entre eux, Quélus, l’avait chargé en pleine rue. Une pareille vie devenait intolérable : le duc se décida à s’enfuir de nouveau de la cour et s’en confia à Marguerite, qui se chargea de son évasion. Avertie par le maréchal de Matignon, « ce rusé Normand, » Catherine fit venir sa fille : « Savez-vous, dit-elle, ce que Matignon m’a rapporté ? C’est que votre frère ne sera pas ici demain. — Si mon frère avait un pareil dessein, répondit Marguerite en composant son visage, il me l’auroit confié, il m’aime trop pour me rien cacher. — Vous m’en répondez sur votre vie ; » répliqua Catherine ; et elle lui fit signe de se retirer. Rentrée dans sa chambre, où son frère vint la rejoindre avec Simier et Gange, sans perdre une minute, Marguerite les aida de ses mains à attacher une corde solide à son balcon. Le duc descendit le premier, et après lui Simier et Cangé. Bussy les attendait à l’abbaye de Sainte-Geneviève. Il avait fait pratiquer un trou dans le mur d’enceinte. Tous les quatre passèrent par là et gagnèrent la campagne. Le lendemain, Catherine et Henri III mandèrent Marguerite. « Vous nous avez trompés, s’écrièrent-ils tous les deux. — Mon frère ne m’avait rien dit, répondit-elle sans se déconcerter ; mais je vous puis assurer qu’il n’est parti que pour aller préparer son expédition des Flandres. » Une lettre du duc, réitérant les mêmes promesses, acheva de les tranquilliser, et la cour reprit sa physionomie habituelle.


V

Dans les derniers mois de l’année 1577, une agitation inquiétante s’étant manifestée en Languedoc et dans les provinces limitrophes, et les questions religieuses s’y trouvant mêlées, Catherine jugea prudent de couper court à ces nouvelles menaces de guerre civile. Deux fois déjà le roi de Navarre lui avait demandé la reine sa femme. Elle feignit de se rendre à ses instances, et le 2 août 1578, elle partait pour Olinville, cette maison de plaisance que Henri III venait de se donner. Ce fut sa première halte. D’Olinville, elle prit la route de la Guyenne, où Biron, qui y commandait pour Henri III,